Depuis le début de la pandémie, on a entendu plusieurs détracteurs des mesures sanitaires dénoncer la « dictature » vers laquelle nous serions en train de glisser.

Fermer les restaurants parce que les risques de contagion sont élevés lors de rassemblements intérieurs ?

Oh, digne d’une dictature !

Imposer le port du masque dans les commerces pour protéger les plus vulnérables et empêcher le système de santé de craquer ? Ajouter un couvre-feu pour sauver davantage de vies alors que la situation est presque incontrôlable ?

Ah, ma foi, on se croirait sous Pol Pot !

Ces indignés auraient tout avantage à faire leurs propres recherches et examiner ce qui vient de se passer en Russie pour se rendre compte de la chance qu’ils ont de vivre dans une démocratie.

Y compris celle de pouvoir critiquer leurs dirigeants sans devoir craindre pour leur vie.

PHOTO EVGENY FELDMAN, REUTERS

L’opposant Alexeï Navalny a été arrêté dimanche immédiatement après son arrivée à Moscou.

Le principal opposant russe, Alexeï Navalny, militant anticorruption notoire, a été arrêté dimanche immédiatement après son arrivée à Moscou et « emmené dans un lieu inconnu », a précisé le journal Le Monde.

Le quotidien a aussi rapporté la réaction à la fois mensongère et arrogante du porte-parole du Kremlin. « Je vous demande pardon, Navalny a été arrêté… En Allemagne ? Je ne suis pas au courant », a-t-il répliqué.

Déclaration d’autant plus hypocrite que les services pénitentiaires russes ont pour leur part indiqué que Navalny allait rester en détention « jusqu’à la décision du tribunal ». Sans toutefois préciser quand elle serait prise, cette décision.

Tout, dans cette histoire, reflète le règne de l’arbitraire.

C’est ça, une dictature !

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Déroulons maintenant le fil des évènements qui ont mené Navalny dans ce cul-de-sac. Son cas est plus efficace qu’un dictionnaire si on cherche à définir le mot dictature.

Officiellement, l’opposant russe a été arrêté parce qu’on l’accuse de ne pas avoir respecté les conditions liées à un procès pour détournement de fonds. Mais le verdict rendu en Russie a été dénoncé par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Cette condamnation est « fondée sur des accusations à caractère politique », insistait lundi Amnistie internationale.

Il y a trois ans, la CEDH a aussi été appelée à se pencher sur la nature des multiples arrestations dont Navalny a été la cible en 2012 et 2014. Celles-ci « ont violé ses droits et étaient motivées par des arrière-pensées politiques », a-t-elle tranché.

On pourrait étirer presque indéfiniment la liste des sévices infligés à Navalny au cours de la dernière décennie. Mais l’espace nous manque. On va donc passer directement à la raison pour laquelle il se trouvait en Allemagne depuis le mois d’août.

Son empoisonnement.

Parce que c’est ça, aussi, voyez-vous, une dictature !

Vous énervez un peu trop le régime en place ? Paf ! On peut décider de vous éliminer du jour au lendemain.

En prime : vous courez de grands risques de mourir dans des douleurs atroces. La dictature cherche à intimider tous ceux qui seraient tentés de vous imiter et de la remettre en cause.

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Il y a longtemps que les rêves de « fin de l’histoire » et de triomphe de la démocratie libérale — thèse du politologue américain Francis Fukuyama — ont été enterrés.

Le monde est de nouveau le théâtre d’une lutte agressive entre démocraties et dictatures. Et ça joue encore plus dur depuis le début de la pandémie.

D’où l’importance d’autant plus grande, pour les dirigeants des nations démocratiques, de réagir avec fermeté pour défendre les Navalny de ce monde.

D’où l’importance, aussi, de protéger nos démocraties des menaces existentielles dont la dangerosité augmente.

Extérieures, bien sûr, mais pas seulement.

La mobilisation pour contester l’idée même de démocratie a pris de l’ampleur depuis le début de la pandémie, ici comme ailleurs en Occident.

Et l’ironie de tout ça, c’est que les citoyens qui sont convaincus de vivre sous une tyrannie (y compris ceux qui, aux États-Unis, ont envahi le Capitole le 6 janvier) contribuent à affaiblir le régime qui leur permet de ne pas subir le même sort qu’Alexeï Navalny.

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