En appelant ses partisans à foncer vers le Capitole, Donald Trump nous aura peut-être, involontairement, rendu un grand service. Car les scènes inimaginables qui ont suivi montrent jusqu’où peuvent conduire la haine et la désinformation qui coulent sur les autoroutes de l’internet.

Et elles nous forcent à nous demander comment mieux gérer le trafic à l’avenir.

Donald Trump n’en était pas à son premier discours attisant la violence. On n’a qu’à se rappeler comment il avait appelé à tirer sur les manifestants de Black Lives Matter, en juin.

Mais cette fois, des milices armées ont attaqué le siège du pouvoir législatif américain. On a vu, noir sur blanc, que les mots font plus que semer la haine. Qu’ils peuvent inciter des illuminés à prendre les armes.

L’attaque du 6 janvier a forcé les réseaux sociaux, notamment Twitter, le favori de Donald Trump, à le chasser de leurs plateformes. On ne se plaindra pas de voir le pyromane en chef privé de son mégaphone. On ne se plaindra pas non plus du grand ménage qui a suivi : fermeture de dizaines de milliers de comptes liés à QAnon, expulsion du réseau Parler par les GAFA.

Mais cette purge lancée dans l’urgence n’en laisse pas moins un gros malaise. Aujourd’hui, les réseaux sociaux répudient Trump et ses amis les plus infréquentables.

Mais demain ? À qui le tour ?

PHOTO OLIVIER DOULIERY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Twitter a suspendu le compte de Donald Trump.

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Angela Merkel n’est certainement pas une grande amie de Donald Trump. Pourtant, son porte-parole Steffen Seibert a protesté cette semaine contre les représailles que Twitter et les autres réseaux ont imposées au président républicain.

Oui, on peut limiter la liberté d’expression, mais en suivant les lignes tracées par les législateurs, pas celles décrétées par des administrateurs de plateformes numériques, a-t-il plaidé.

« La réglementation du monde numérique ne peut être dictée par l’oligarchie numérique », a renchéri le ministre français des Finances, Bruno Lemaire.

Plusieurs voix s’inquiètent que les géants du web aient puni Donald Trump de manière arbitraire. Facebook ou Twitter ne sont ni des gardiennes de la démocratie ni des expertes de la liberté d’expression. Ce sont des entreprises qui veillent à leurs intérêts.

À court terme, l’expulsion de Donald Trump leur a d’ailleurs coûté cher. Leurs actions ont périclité, elles ont perdu abonnés et revenus publicitaires.

Si elles avaient été mues par des considérations strictement morales, il y a bien longtemps qu’elles auraient bloqué Donald Trump et les chasseurs de pédophiles de QAnon.

Or, elles les ont laissés répandre leur poison pendant des années. Et n’ont agi que lorsqu’elles n’avaient plus le choix.

Autrement dit, ceux qui s’inquiètent de la censure imposée à Donald Trump n’en ont pas tant contre le fait qu’il ait été censuré. Mais plutôt contre la manière. Ils craignent de laisser les entreprises privées bricoler les règles qui régissent leur commerce. Le conflit d’intérêts est gros comme le bras.

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Alors, on fait quoi ? On se parle. On se coordonne entre États. Et on légifère.

Ça prend des mécanismes de surveillance du web qui aident à démêler le vrai du faux, à distinguer entre les opinions et les appels à la violence.

Il faut rendre les plateformes juridiquement responsables du contenu qu’elles abritent (cette responsabilité est déjà reconnue au Québec et en Europe, mais pas aux États-Unis.)

Et il faut une armée d’enquêteurs pour forcer les réseaux sociaux à faire face à leurs responsabilités.

Des initiatives ont déjà été prises en ce sens, notamment par l’Union européenne. Aux États-Unis, les démocrates ont des projets de réglementation dans leurs manches.

La Grande-Bretagne travaille aussi sur la mise en place d’un organisme de surveillance des plateformes numériques.

Toute cette entreprise est délicate. Elle exige une réflexion sur les limites de la liberté d’expression.

À l’heure des fausses nouvelles, protéger la liberté d’expression, c’est aussi protéger le public contre la manipulation et le mensonge, souligne le spécialiste des médias Pierre Trudel. Où tracer la ligne ? Pas évident.

Mais comme le démontrent les images surréalistes de la semaine dernière, la régulation des réseaux sociaux n’est plus un luxe. C’est une nécessité absolue.

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