Est-ce normal que beaucoup d’artistes n’aient pas de normes minimales de travail en 2021 ?

Bien sûr que non.

La plupart des artistes sont des travailleurs autonomes, et les normes du travail ne s’appliquent pas aux travailleurs autonomes. Deux lois sur le statut de l’artiste, qui datent des années 80, remplacent en quelque sorte les normes du travail dans ce milieu. Elles visent à ce que les artistes puissent négocier des ententes collectives sur leurs conditions de travail (ex. rémunération) avec leurs donneurs d’ouvrage.

Le gouvernement Legault a promis de réformer ces lois sur le statut de l’artiste avant la fin de son premier mandat, à l’automne 2022. L’échéancier commence à être serré, mais c’est toujours possible. À condition qu’on ne perde plus de temps, qu’on dépose le projet de loi cet automne, et qu’on l’étudie cet hiver pour l’adopter au printemps.

Au Québec, la grande majorité des artistes vivent dans la précarité financière, voguant de contrat en contrat. Cachets moyens d’un membre de l’Union des artistes (note 1) : 20 951 $ par an. Redevances moyennes des auteurs : environ 10 % du prix du livre. Le type de travailleurs qu’on doit protéger avec des conditions minimales.

Le milieu artistique a raison de s’impatienter. Après trois décennies et demie, le bilan des lois sur le statut de l’artiste est mitigé.

Une première loi, qui s’applique à la télé, au cinéma, à la publicité, à la musique, au théâtre et aux arts de la scène, a permis de négocier des dizaines d’ententes collectives sur les conditions de travail, selon le métier et le donneur d’ouvrage. À elle seule, l’Union des artistes en a signé 55.

Une deuxième loi, qui s’applique aux écrivains (les auteurs de livres), aux peintres, aux sculpteurs, aux photographes, aux artistes visuels et aux autres métiers d’art, a permis de négocier un grand total de… zéro entente collective. La raison est fort simple : contrairement à l’autre loi, on n’y prévoit pas de recours à l’arbitrage obligatoire à la demande d’une partie en cas d’impasse dans les négos d’une première entente collective. Ça n’incite pas beaucoup à conclure une entente.

Tous les artistes, peu importe leur type d’art, devraient pouvoir négocier collectivement leurs conditions minimales de travail avec les donneurs d’ouvrage bénéficiant de fonds publics (bref, avec à peu près tout le monde). En pratique, ça veut d’abord dire d’étendre le droit à l’arbitrage d’une première entente collective aux écrivains, peintres, sculpteurs et autres métiers d’art. L’argent ne tombera peut-être pas plus du ciel, mais les artistes pourront bénéficier d’un meilleur cadre de négociations pour établir des normes – minimales, on le rappelle – dans leurs domaines respectifs.

Dans un deuxième temps, il faut améliorer le système entourant les ententes collectives existantes. En télé/cinéma/théâtre/pub, la quasi-totalité des producteurs sérieux les reconnaissent, mais… ce n’est pas obligatoire de le faire ! Un producteur peut tourner une pub ou une série télé sans reconnaître ces ententes (on peut alors le forcer à négocier une autre entente). C’est injuste pour les artistes. Et pour la grande majorité des producteurs qui respectent ces ententes.

La situation est d’autant plus absurde que l’industrie culturelle est fortement subventionnée au Québec (avec raison, là n’est pas la question).

Tant qu’à injecter des dizaines de millions de dollars, Québec devrait au moins s’assurer que les artistes aient droit à des conditions de travail minimales pour des œuvres réalisées grâce à des fonds publics (ex. subventions, crédits d’impôt).

Il existe une solution toute simple : obliger les donneurs d’ouvrage à reconnaître et appliquer les ententes collectives dès qu’ils bénéficient de fonds publics. Finies les négos interminables.

La réforme des lois sur le statut de l’artiste ne réglera pas tous les problèmes financiers des artistes. Ottawa pourrait d’ailleurs en régler un en les rendant admissibles à l’assurance-emploi avec un statut de travailleur intermittent. Et en dépoussiérant ses vieilles lois, Québec pourrait au moins donner aux artistes un meilleur rapport de force pour négocier leurs conditions minimales de travail avec les donneurs d’ouvrage bénéficiant de fonds publics.

Note 1 : Cachets et droits de suite sur les activités des artistes (membres actifs de l’Union des artistes ayant travaillé cette année-là) couvertes par les ententes collectives de l’Union des artistes, pour l’année 2019.

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