Son nom – molnupiravir – semble sorti du bestiaire des créatures fantastiques d’Harry Potter. Mais apprendre à le prononcer est loin d’être le seul enjeu complexe entourant ce nouveau médicament-candidat contre la COVID-19 développé par la multinationale Merck.

La pilule fait couler beaucoup d’encre ces jours-ci et ça se comprend. Selon Merck, elle permettrait de réduire de moitié les hospitalisations chez les gens à risque (comme les aînés) souffrant d’une forme légère ou modérée de la COVID-19.

Cela fait miroiter l’immense promesse de libérer des lits. Demandez aux gestionnaires d’hôpitaux de l’Alberta et de la Saskatchewan si ça les intéresse et ils risquent de se jeter sur vous, chéquier en main. C’est encore plus vrai dans les pays sous-développés, où la capacité hospitalière est encore plus fragile et où la vaccination est minimale.

L’enthousiasme vient aussi du fait que le molnupiravir est une pilule qu’on peut avaler à la maison. Pas un médicament devant être administré par voie intraveineuse comme ceux qui composent l’arsenal actuel contre le virus.

Mais attendez quand même avant de célébrer. Parce que cette nouvelle molécule soulève une myriade de questions scientifiques, éthiques et financières dont on n’a sans doute pas fini de discuter.

Première question en tête de liste : est-ce que ça fonctionne vraiment ? La réponse courte : on l’ignore. Parce que cette fois encore, on n’a qu’un communiqué de presse à se mettre sous la dent, sans les données complètes de l’étude.

Ce film, on a déjà joué dedans. Et chaque fois, le dénouement n’était pas à la hauteur de la bande-annonce. Rappelez-vous l’emballement autour du remdésivir. Ou de la colchicine. Il faudra donc attendre la publication complète de l’étude (et, idéalement, sa révision par les pairs) avant de trancher sur l’efficacité et la sécurité du molnupiravir.

Il faut d’ailleurs (encore !) s’interroger sur ce dévoilement de résultats scientifiques par voie de communiqué, dont les termes et données sont choisis par les entreprises pharmaceutiques. Les promesses qui se dégonflent nourrissent la confusion et la perte de confiance.

Mais même si le molnupiravir s’avère aussi efficace et sécuritaire que le prétend Merck, les questions seront loin d’être terminées.

L’une des plus importantes concerne le coût. Le molnupiravir est conçu pour les gens qui ont un facteur de risque comme l’obésité, le diabète ou l’âge (60 ans et plus). Aussitôt le diagnostic de COVID-19 posé, on le consommerait deux fois par jour pendant cinq jours. Coût du traitement : environ 700 $ US, soit quelque 880 $ CAN.

Le hic, c’est qu’il existe déjà une solution beaucoup moins chère et beaucoup plus efficace pour prévenir les hospitalisations : le vaccin. Ceux qui le refusent se ramassent massivement à l’hôpital. Éthiquement, faut-il leur offrir une solution plus chère aux frais des contribuables (ou des assurés des régimes privés) ? Et cela ne risque-t-il pas justement de conforter les non-vaccinés dans leur refus du vaccin, puisqu’ils ont une autre possibilité ?

Les calculs économiques s’annoncent aussi difficiles. Selon les chiffres de Merck, il faudrait traiter 14 personnes non vaccinées pour sauver une hospitalisation. Le nombre de personnes vaccinées à traiter serait encore plus élevé, puisqu’elles sont moins souvent hospitalisées.

Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?

Ces réflexions sont loin d’être simples. Si le médicament est approuvé par Santé Canada, vous pouvez parier que les experts de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux se mettront à leur calculatrice pour comparer les coûts et les bénéfices.

Pour les pays plus pauvres, il est encourageant de savoir que Merck a déjà conclu des ententes de licence avec cinq grands fabricants indiens de médicaments génériques. Et qu’elle promet d’ajuster le prix de vente selon la capacité de payer des différents pays. Il faudra garder un œil là-dessus, mais on peut raisonnablement penser que la distribution mondiale serait moins choquante que celle des vaccins.

On souhaite tous que le molnupiravir libère les hôpitaux et sauve des vies. Mais avant d’en arriver là, il faudra répondre aux grandes questions que soulève cette petite pilule.

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