Au cours des derniers mois, des universités, des syndicats, des ordres professionnels – dont celui des infirmières –, des cabinets d’avocats et des corps policiers ont tous reconnu l’existence du racisme systémique.

Mardi, c’était au tour de la coroner Géhane Kamel, dans le cadre de la présentation de son rapport sur les circonstances entourant la mort de Joyce Echaquan au CISSS de Lanaudière, en septembre 2020.

Selon elle, plusieurs raisons expliquent la mort accidentelle de la mère de famille atikamekw de 37 ans : préjugés et racisme de la part du personnel soignant ayant contribué à la mauvaise évaluation de son état, soins inadéquats, manque de personnel sur le plancher… La liste est longue et douloureuse à lire.

La mort de Mme Echaquan était accidentelle et aurait pu être évitée, insiste la coroner.

À partir de ces constats, Mme Kamel a émis 13 recommandations qui vont de l’importance de la formation du personnel à la réalité des Autochtones, en passant par la révision des quotas infirmières-patients. Mais c’est sa première recommandation – « que le gouvernement québécois reconnaisse l’existence du racisme systémique au sein de nos institutions et prenne l’engagement de contribuer à son élimination » – qui attire l’attention.

C’est la seule avec laquelle le premier ministre François Legault n’est pas d’accord.

Dans l’esprit de M. Legault, notre province est préservée du racisme systémique, un phénomène qu’on observe et documente pourtant ailleurs au pays, et dans le reste du monde. « Ça ne s’applique pas à la situation du Québec », a-t-il insisté en conférence de presse mardi.

M. Legault n’est pas d’accord avec la définition de Mme Kamel, empruntée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, et qui définit le racisme systémique comme « la somme d’effets d’exclusion disproportionnés qui résultent de l’effet conjugué d’attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l’interdiction de la discrimination ».

Le premier ministre trouve cette définition trop complexe.

Il préfère la définition du Petit Robert qui définit systémique comme « relatif à un système dans son ensemble », et il ajoute une interprétation de son cru : « pour moi, un système, ça part d’en haut ».

Pourtant, Antidote définit un système comme un « ensemble d’éléments reliés entre eux et exerçant une influence les uns sur les autres ». À chacun son dictionnaire !

En conférence de presse mardi, M. Legault a poussé plus loin sa définition en posant cette question : « Est-ce qu’il y a quelque chose qui part d’en haut – disons dans le système de santé – et qui est communiqué partout dans le réseau en disant : “Soyez discriminatoires dans votre traitement auprès des Autochtones” ? C’est évident que la réponse, c’est non. »

Mais bien sûr !

Si c’était le cas, on parlerait de discrimination directe, ce qui est tout le contraire du racisme systémique, un phénomène qui se produit de manière inconsciente. Le premier ministre joue avec les mots. Ce n’est pas de cela qu’on parle quand on parle de racisme systémique.

Dans le cas de Mme Echaquan, non seulement une infirmière a fait preuve de racisme, mais elle s’est sentie légitime d’agir de la sorte car elle travaillait à l’intérieur d’un système de valeurs basé sur les préjugés et les biais racistes à l’endroit des Autochtones. Ce n’est évidemment pas son supérieur immédiat qui lui a envoyé une note pour lui dicter son comportement.

M. Legault se désole qu’on perde du temps avec des débats sémantiques, mais qui fait preuve d’obstination ? Il dit souhaiter qu’on s’attaque collectivement au racisme. Mais qui est contre-productif dans ce dossier ?

L’autre problème avec le raisonnement du premier ministre, c’est qu’il ramène tout à lui, il personnalise le débat : « Personnellement, je trouve ça inacceptable, a-t-il déclaré mardi. Ça me choque que ça se passe au Québec et je vais m’assurer de faire tout en mon possible pour que ça arrête, cette façon de faire. »

Évidemment que la situation est épouvantable, là n’est pas la question. M. Legault n’a pas à nous rappeler qu’il est père de deux garçons et que l’histoire des pensionnats pour Autochtones le choque. C’est une question qui dépasse les individus et leurs réactions émotives. Le racisme que subissent les Autochtones nécessite une solution systémique. D’où l’importance de reconnaître son caractère systémique.

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