Le chef du Bloc québécois nous prévient : le sprint final de la campagne tournera beaucoup autour d’une discussion sur les charmes d’un gouvernement fédéral minoritaire.

« C’est le plus puissant outil, totalement décomplexé, de mon point de vue, dont le Québec puisse bénéficier pour les prochaines années », a affirmé Yves-François Blanchet lors d’une rencontre virtuelle avec l’équipe éditoriale de La Presse jeudi.

En ce sens, il dit essentiellement la même chose que François Legault.

À cette différence près que le premier ministre du Québec, lui, va jusqu’à laisser entendre qu’il préfère que le Parti conservateur forme le prochain gouvernement. Une stratégie qui étonne, qui détonne – certains songeront aux curés qui jadis disaient à leurs ouailles de voter « du bon bord » – et qui est pour le moins téméraire. Ne risque-t-il pas de contribuer à l’élection d’un gouvernement conservateur… majoritaire ?

Pour Yves-François Blanchet, ce qui importe, c’est seulement l’aspect « minoritaire ».

Le cas échéant, le Bloc québécois serait alors « dans une position d’arbitrage de décisions futures de la Chambre des communes », dit-il.

C’est indéniable.

D’ailleurs, le calcul de François Legault tient forcément compte de la présence de bloquistes à Ottawa, qui détiendraient la balance du pouvoir.

Plus le Bloc fera élire de députés, dans de telles circonstances, plus son influence risque d’être grande.

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Il serait faux de dire que le Bloc a fait la pluie et le beau temps à Ottawa depuis les élections fédérales de 2019.

Mais il serait tout aussi faux de soutenir qu’il fut inutile.

Le Bloc a pu jouer un rôle de soutien important dans plusieurs dossiers majeurs au cours des dernières années. Dans l’adoption du projet de loi sur l’aide à mourir en mars dernier, par exemple.

Plus récemment, il a défendu le projet de loi C-10, visant notamment à forcer les géants du numérique à mettre le contenu de nos artistes en valeur sur leurs plateformes.

Dans les deux cas, il s’agissait de déjouer les manœuvres d’obstruction des conservateurs.

Le chef bloquiste a aussi évoqué un courriel libéral récemment mis au jour par le Journal de Montréal, qui souligne que le gouvernement a mis en place certaines mesures économiques lors de la pandémie « en tenant compte des suggestions du Bloc québécois ».

En revanche, il est faux de soutenir, comme le fait Yves-François Blanchet, qu’un contingent de Québécois assis à la table du Conseil des ministres à Ottawa ne change rien au sort du Québec.

Pensons à quelques exemples frappants. Jean-Yves Duclos au Trésor, Mélanie Joly au ministère du Développement économique et François-Philippe Champagne à celui de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie.

On ne peut pas sérieusement prétendre que les intérêts du Québec seraient aussi bien servis s’ils n’étaient pas titulaires de ces portefeuilles.

Si on veut avoir la plus grande influence possible sur les politiques publiques, le meilleur endroit où se trouver, c’est autour de la table du Conseil des ministres. Pas dans l’opposition.

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C’est le casse-tête auquel fait face le Bloc depuis ses débuts.

Son défaut de fabrication, en quelque sorte.

Ce parti n’était pas fait pour durer.

Sa longévité se conjugue avec d’importants défis et certaines contradictions.

À l’issue du débat de mercredi, après s’être fait demander s’il préférait un gouvernement conservateur ou libéral, Yves-François Blanchet a répliqué : « C’est comme me demander si je veux de la tarte aux pommes ou de la tarte au sucre. Je préfère ne pas avoir de dessert. »

Mais ce théorème du dessert, si vous nous permettez de le qualifier ainsi, est inexact.

En vérité, sans dessert, le Bloc n’aurait rien à se mettre sous la dent.

Ce dont il a besoin, c’est d’une toute petite part de dessert.

Son efficacité au Parlement est inversement proportionnelle aux succès électoraux du Parti conservateur et du Parti libéral. Moins les députés de ces deux partis seront nombreux au Parlement à l’issue du scrutin, plus le Bloc pourra tirer son épingle du jeu.

Ce sera beaucoup plus difficile, par contre, si un gouvernement majoritaire prend les commandes du pays.

Et les électeurs, n’en déplaise au chef du Bloc, ne peuvent cocher l’option « gouvernement minoritaire » sur leur bulletin de vote (une réalité que François Legault a peut-être, lui aussi, sous-estimée).

Par ailleurs, moins les Québécois seront nombreux dans des postes clés au sein du gouvernement, plus les intérêts de la province sont susceptibles d’être marginalisés.

C’est le dilemme des électeurs québécois.

C’est le casse-tête auquel font face les électeurs potentiels du parti.

Et pour le Bloc, c’est la quadrature du cercle.

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