Les politiciens savent tous qu’on n’attire pas des mouches avec du vinaigre, qu’on ne gagne pas des votes en privant les électeurs de cadeaux.

Il n’est donc pas étonnant que les libéraux aient renouvelé, avant le déclenchement de la campagne électorale, les prestations spéciales pour les travailleurs frappés par la pandémie.

Pas étonnant. Mais pas idéal.

Si vous avez sillonné le Québec cet été, vous avez certainement constaté que les commerces s’arrachent la main-d’œuvre.

« Le monde entier est en manque d’employés… soyez gentils envers ceux qui viennent travailler », exhorte un panneau à l’entrée d’un resto du centre-ville de Montréal.

Rien d’anecdotique, ici.

Au Québec, la moitié des PME a des problèmes d’embauche de travailleurs qualifiés (54 %) et non qualifiés (47 %). Des niveaux jamais vus depuis que la Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI) compile les données (2009).

Il est donc diablement paradoxal qu’Ottawa verse jusqu’au 23 octobre la Prestation canadienne pour la relance économique (PCRE) aux travailleurs autonomes qui ne sont pas admissibles à l’Assurance-emploi (aussi bonifiée temporairement en raison de la pandémie).

Entendons-nous. Ces prestations ne sont pas responsables de la pénurie de main-d’œuvre qui existait bien avant la pandémie. Et Ottawa a bien fait d’offrir cette aide aux ménages pour éviter les faillites en série. Mais maintenant que la récession est terminée, on voit combien il est difficile de décrocher de ces antidouleurs qui créent rapidement une dépendance.

L’heure du sevrage est arrivée. Il est temps d’abolir ces programmes, quitte à les recadrer pour cibler les secteurs qui en arrachent encore, comme le propose le Bloc québécois.

Mais surtout, il faut regarder plus loin et trouver un vrai remède pour le programme d’assurance-emploi (AE) dont les plaies béantes ont été révélées au grand jour par la COVID-19.

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Depuis 30 ans, la proportion de chômeurs canadiens qui ont droit à l’AE s’est réduit comme une peau de chagrin, glissant de 84 % à la fin des années 1980, à 44 % après la réforme de 1996, et à à peine 37 % juste avant la pandémie.

Un taux si bas est anormal.

Il faut rendre le régime plus accessible… sans encourager les travailleurs à se tourner les pouces. Et il faut rendre plus équitable le système qui est discriminatoire à bien des égards.

Tout d’abord, il pénalise les femmes, car l’admissibilité aux prestations est établie en fonction du nombre d’heures travaillées, plutôt que du nombre de semaines comme auparavant. Cela favorise les travailleurs qui font de longues heures en peu de temps dans un secteur saisonnier, au détriment de ceux qui travaillent à temps partiel dans la restauration ou le commerce de détail, par exemple. Or, on sait qu’une femme sur quatre travaille à temps partiel, contre seulement un homme sur huit.

Revenons donc en arrière. Ramenons un système fondé sur les semaines.

L’AE est aussi inéquitable sur le plan régional, puisque l’admissibilité et le montant des prestations varient selon le taux de chômage d’une soixantaine de régions. Un sacré casse-tête dont le résultat fait en sorte d’un travailleur obtient moins qu’un autre juste à cause de son adresse, ce qui est illogique.

L’AE gagnerait aussi à être plus généreuse.

En ce moment, les chômeurs ont droit à 55 % de leur salaire assurable. Le Canada fait donc figure de parent pauvre par rapport à des pays comme la France (57 à 75 %), l’Allemagne (60 %) ou la Suède (80 %). Sans compter qu’il laisse une bonne partie de la classe moyenne à découvert, puisque le salaire excédant 55 000 $ n’est pas couvert.

Dans cette veine, le Parti conservateur propose de créer une « Super Assurance Emploi » qui offrirait des prestations de 75 % quand une province est en récession. De son côté, le NPD veut lancer un supplément de faibles revenus pour que les prestataires de l’AE ne reçoivent jamais moins que 2000 $ par mois, un beau geste pourvu qu’il n’incite pas les gens à rester à la maison.

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Mais la question la plus délicate reste à savoir comment couvrir les travailleurs autonomes, qui représentent désormais 15 % de la main-d’œuvre.

C’est tout un défi !

Il ne sera pas aisé de déterminer si un travailleur autonome, entièrement maître de ses contrats, a vraiment perdu son gagne-pain involontairement.

Les travailleurs autonomes qui ont des revenus stables risquent de ne pas avoir envie d’embarquer dans le même bateau que ceux qui ont des revenus en dents de scie.

Sachant qu’ils devront payer les cotisations de leurs poches, les trois quarts (73 %) souhaitaient justement qu’un tel régime soit facultatif, selon un sondage de la FCEI.

Or, les travailleurs autonomes qui adhéreraient à un régime volontaire seraient aussi les plus susceptibles de l’utiliser, ce qui ferait grimper les cotisations.

Malgré tous les écueils, de nombreux pays ont mis en place une assurance-emploi pour les travailleurs indépendants, dont l’Australie pas plus tard qu’en 2020.

Alors pourquoi pas le Canada ?

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