Voici un mot que vous n’entendrez pas souvent durant la campagne électorale fédérale : dette.

Oui, cette dette fédérale qui a explosé de 721 milliards (31,2 % du PIB) à 1234 milliards (51,2 % du PIB) durant la pandémie.

Ottawa a bien fait d’ouvrir les vannes pour soutenir les travailleurs, l’économie et le système de santé durant la pandémie. En temps de crise – la pire depuis la Seconde Guerre mondiale –, l’État devait jouer pleinement son rôle de filet social et de soutien économique pour éviter le pire. Le Canada a été l’un des pays les plus généreux du G7, et c’était la bonne chose à faire.

Pour les trois à cinq prochaines années, la dette fédérale semble gérable, tous les économistes en conviennent. Les taux d’intérêt sont bas, les banques centrales continuent d’imprimer de l’argent, le Canada demeure l’un des pays les mieux cotés en matière de crédit.

Comme il n’y a pas de votes à récolter cette fois-ci en parlant de dette et qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, vous n’entendrez pas les politiciens fédéraux parler de dette aux électeurs alors qu’on est encore en pandémie. Même les conservateurs parlent de revenir à l’équilibre budgétaire seulement dans 10 ans.

Mais ce n’est pas parce qu’on ne parle pas d’un problème qu’il se réglera par lui-même.

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La dette accumulée à cause de la pandémie est une chose.

L’enjeu, c’est qu’à l’ombre de cette importante dette pandémique, le gouvernement Trudeau est en train de créer un déficit structurel avec de nouvelles dépenses récurrentes qui survivront à la pandémie.

Un nouveau programme canadien de garderies inspiré des CPE à 8,38 milliards par an. Des bonifications à la Sécurité de la vieillesse à 2,65 milliards par an. De nouveaux investissements en santé, incluant les dernières promesses électorales libérales, à environ 2,55 milliards par an à terme1.

Ensemble, ces trois programmes coûteront 13,6 milliards par an à terme à partir de 2025-2026. Pour vous donner une idée, l’ensemble de la plateforme électorale des libéraux en 2019 coûtait 17 milliards par an à terme.

Justin Trudeau n’étant pas magicien, Ottawa devra trouver une façon de payer pour ces nouveaux programmes si les libéraux sont réélus. En finances publiques, il n’y en a que trois : hausser le fardeau fiscal, réduire les dépenses, se fier à la croissance économique future.

Depuis son arrivée en 2015, le gouvernement Trudeau ne jure que par la troisième solution : la croissance économique future. Avant la pandémie, il a justifié ses déficits récurrents par le fait qu’un pays relativement peu endetté peut continuellement faire des déficits tant que la croissance économique est au rendez-vous.

Ce n’est pas entièrement faux. Mais avec le recul, beaucoup d’économistes conviennent qu’Ottawa a été trop insouciant en matière de gestion du déficit entre 2015 et 2019. Avant la pandémie, Ottawa avait un déficit d’environ 20 milliards par an. Comme le niveau de dette et le taux d’emprunt étaient peu élevés, cette insouciance n’a pas eu de conséquences. Elle a aussi bien servi Justin Trudeau durant la pandémie, alors qu’Ottawa n’a pas hésité à dépenser les centaines de milliards nécessaires pour soutenir l’économie et les Canadiens.

Mais les libéraux continuent d’étirer l’élastique en instaurant de nouvelles dépenses récurrentes, sans indiquer comment ils vont les financer à long terme.

On ne dit pas que ces programmes sont une mauvaise idée. Un système national de garderies est une excellente idée qui va hausser la présence des mères sur le marché du travail, ce qui bénéficiera notamment à l’économie. Ottawa a aussi raison d’investir davantage en santé (il devrait le faire en haussant à long terme les transferts fédéraux, mais c’est une autre histoire).

Il n’y a rien de gratuit dans la vie – en tout cas, pas indéfiniment. Pour vous donner une idée, il faudrait par exemple hausser la TPS de 5 % à environ 6,25 % pour trouver les 13,6 milliards nécessaires en 2025-2026 pour financer les engagements libéraux pour les garderies, la Sécurité de la vieillesse et l’argent frais en santé2.

Sans compter qu’après la pandémie, Ottawa devra tôt ou tard réduire une partie de sa dette de 500 milliards accumulée durant la crise de la COVID-19. Une partie importante de cette dette pandémique se réduira toute seule avec la croissance économique (le ratio dette/PIB diminuera), mais il serait étonnant qu’on puisse ainsi en absorber 100 %. On acceptera aussi d’avoir des niveaux d’endettement publics plus élevés, mais il est probable que les contribuables devront éventuellement assumer une partie de la dette pandémique. Surtout si les taux d’intérêt augmentent à long terme (5-10 ans), ce qui ferait augmenter les frais d’intérêt sur la dette.

Mais ce sera un débat pour la prochaine campagne électorale, quand nous serons enfin sortis de cette pandémie.

Note 1 : Pour les nouvelles promesses en santé, les libéraux n’ayant pas encore dévoilé leur cadre financier, on a assumé que les sommes totales annoncées publiquement sont récurrentes sur cinq ans pour les soins de longue durée (6 milliards sur 5 ans = 1,2 milliard par an) et sur quatre ans pour l’ajout de médecins (3 milliards sur 4 ans = 750 millions par an). Au total, ça donne donc 2,55 milliards par an en santé en 2025-2026 (600 millions dans le dernier budget pour les soins de longue durée + 1,2 milliard d’argent frais en soins de longue durée + 750 millions d’argent frais pour les médecins = 2,55 milliards par an). Les libéraux ont aussi promis 5 milliards pour diminuer les listes d’attente, mais cette somme n’est pas récurrente.

Note 2 : Pour faire cette estimation sur la TPS, on a utilisé le simulateur budgétaire du Directeur parlementaire du budget (http://www.readyreckoner.ca/?locale=fr-CA), en utilisant un taux de croissance des revenus fiscaux équivalant aux prévisions de croissance du PIB nominal selon la moyenne des économistes du secteur privé dans le budget fédéral de 2021 (6 % en 2022, 4 % en 2023, 4 % en 2024 et 3,8 % en 2025).

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