L’heure est à la stupéfaction. Voire à l’hébétement. Comment diable les talibans – pourchassés pendant 20 ans par les armées les mieux équipées du monde – ont-ils pu reprendre le contrôle de l’Afghanistan en quelques semaines à peine sans rencontrer d’opposition digne de ce nom ?

Une portion importante de la réponse n’est malheureusement pas très compliquée : le groupe armé fondamentaliste a acheté, morceau par morceau, une partie de l’armée afghane que les États-Unis et les forces de l’OTAN ont passé deux décennies à former et à financer. Une armée qui comptait quatre fois plus de soldats qu’ils n’ont eux-mêmes de combattants.

En négociant avec certains commandants ou encore directement avec les troupes, les talibans ont pris le contrôle de leurs armes, de leurs véhicules et de leurs bases. Ils ont débuté par les régions rurales, où ils étaient convaincus d’avoir des soutiens, entourant les villes avant de les prendre une à une. Et tout ça, avec un minimum de combat. À ceux qui désertaient, ils ont donné un peu d’argent, de la nourriture et ont promis la clémence pour eux et leurs proches. Une reddition au rabais qui a fait boule de neige.

* * *

Quelques mois plus tôt, une série d’assassinats d’intellectuels, de religieux modérés et de journalistes a semé la peur dans les rangs les plus progressistes de l’Afghanistan et a accéléré un exode des cerveaux. Les talibans n’ont jamais revendiqué ces attentats, mais personne n’est dupe.

Et ajoutez à cela des négociations avec l’administration Trump qui ont permis au groupe armé de regagner une certaine aura de légitimité et d’obtenir une promesse de retrait des troupes américaines sans donner grand-chose en échange. Une autre aubaine.

En regardant en arrière, il est évident que les leaders talibans n’ont eu qu’à réaligner deux ou trois dominos pour que les autres tombent à une vitesse impressionnante.

Ce tour de force pour les héritiers du Mollah Omar est un immense drame pour une grande partie de la société civile afghane. Et c’est une débandade sans précédent pour le gouvernement américain et ses alliés, incluant le Canada, qui ont tous consacré des ressources faramineuses – humaines et financières – pour l’effort de guerre et pour l’établissement d’un gouvernement élu à Kaboul.

Tout ça est déjà un souvenir du passé.

* * *

Ces jours-ci, les derniers Occidentaux dans le pays sont contraints de fuir la queue entre les jambes alors que les combattants talibans prennent le contrôle du palais présidentiel et de toutes les institutions qui ont été construites depuis 2001.

Et les Afghans ne sont pas près d’oublier la sortie des Américains. Toute la planète a pu voir lundi deux gros avions militaires américains décoller même si des Afghans s’y étaient accrochés.

Les images terribles de passagers du désespoir tombant du ciel vont continuer de nourrir le cynisme de beaucoup d’Afghans à l’égard de l’intervention internationale sur leur sol.

Le discours du président américain quelques heures plus tard en a rajouté une couche. Après s’être engagé à évacuer ses citoyens et ses alliés le plus rapidement possible, Joe Biden a martelé que les États-Unis n’étaient pas venus dans le pays pour y instaurer une démocratie, mais bien pour empêcher des groupes terroristes de s’en prendre aux Américains. C’est aux Afghans de faire le reste, a-t-il dit.

Avec ce genre de discours, qui renvoie le blâme sur une population qui subit des guerres par procuration depuis des décennies, est-il surprenant que des dizaines de milliers de soldats afghans n’aient pas mis leur vie en danger pour protéger le gouvernement mis en place par les États-Unis et gangrené par la corruption ? Pas une miette. Et ça, les talibans le savaient depuis le tout début.

* * *

Dans les prochains jours, le monde retiendra son souffle pour voir quel sort les talibans réserveront à ceux qui vivront à nouveau sous leur gouverne. Comme en 2001. Déjà, dans les provinces où ils ont rétabli leur pouvoir depuis un certain temps, les femmes sont les premières à payer le prix.

On s’attend à ce que des centaines de milliers de personnes cherchent à fuir le pays. Le moins que le Canada et ses alliés puissent faire est de s’assurer qu’ils ont un endroit où aller et de quoi vivre décemment. Ottawa a déjà promis d’accueillir 20 000 Afghans et le Québec promet d’apporter sa contribution. C’est une goutte d’eau dans l’océan, mais c’est un bon début. La communauté internationale devra aussi donner un coup de main aux pays voisins de l’Afghanistan, qui abritent déjà plus de 2,5 millions de réfugiés et qui auront à nouveau les mains pleines.

Ensuite, il sera temps de réfléchir pour tirer des leçons de ce désastre que beaucoup avaient malheureusement prévu. Dans le cimetière des empires qu’est l’Afghanistan, il y a aujourd’hui de nouvelles pierres tombales.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion