La situation ne manque pas d’ironie.

Ottawa adore le programme québécois des garderies. Il le montre en exemple partout au pays. Sort son gros chéquier pour en faire le prochain grand programme social canadien.

Pendant ce temps, au Québec, le réseau des centres de la petite enfance (CPE) vit une « crise » à l’aube de ses 25 ans, de l’aveu même du gouvernement Legault. Pendant une décennie, les libéraux de Jean Charest ont privilégié les places non subventionnées, à l’extérieur des CPE. On a même eu droit au scandale du ministre Tony Tomassi sur l’attribution de places en garderies !

Il manque aujourd’hui 37 000 places en garderies au Québec. Sans compter les 70 000 enfants qui vont dans des garderies non subventionnées.

Dans certains coins du Québec, trouver une place en CPE est devenu une véritable discipline olympique…

Mais Ottawa arrive cette semaine avec une (bonne) partie de la solution : un chèque de six milliards sur cinq ans. Ottawa a donné l’argent « sans condition », et Québec promet de l’investir en grande partie pour donner un second souffle à son réseau de garderies.

Les parents québécois en attente d’une place doivent se demander : ça y est, notre progéniture va bientôt fréquenter un CPE ?

Si la vie pouvait être aussi simple…

Malheureusement, on ne construit pas un CPE en criant ciseau. La bureaucratie au ministère de la Famille est écrasante, si bien que le délai de construction d’un CPE est de trois ans.

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Les parents québécois adorent le programme des CPE – quand ils y trouvent une place pour envoyer leur enfant.

Au 31 mars dernier, 32 % des enfants en garderie fréquentaient un CPE (98 000 enfants). En ajoutant les garderies subventionnées en milieu familial (91 000 enfants ; 30 % des enfants) et les garderies privées subventionnées (48 000 enfants ; 16 % des enfants), on arrive à 77 % des enfants dans le réseau qui fréquentent une garderie subventionnée à 8,50 $ par jour. Le reste des enfants (70 000 enfants) fréquentent une garderie non subventionnée, dont les parts de marché sont passées de 1 % en 2003 à 22 % des places en 2021.

Il manque actuellement 37 000 places en garderies au Québec. On attend 7000 places d’ici mars 2022. Environ 8000 autres places sont déjà financées et planifiées (possiblement en 2022-2023). Il faut donc planifier 22 000 places.

Le chèque de 1,2 milliard par an d’Ottawa tombe à point.

Québec annoncera cet automne sa réforme tant attendue du programme des garderies. Depuis son élection, la CAQ – disons-le poliment – n’a pas brillé dans ce dossier. Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a admis cet hiver que le développement du réseau des CPE « ne fonctionne plus ».

Québec dépensera son chèque fédéral de quatre façons :

1) Il créera de nouvelles places en CPE (on ne sait pas encore combien).

2) Il convertira des places non subventionnées en places en garderies subventionnées (8,50 $ par jour).

Ça ne réduit pas la liste d’attente de 37 000 enfants qui n’ont pas de places, mais ça aidera le portefeuille des parents qui verront leur enfant passer à une place à 8,50 $ par jour. C’est une solution facile à court terme, mais à long terme, il vaut mieux favoriser la création de CPE, des organismes sans but lucratif.

3) Il offrira de meilleures conditions salariales aux éducatrices.

Ce rattrapage est nécessaire. D’abord par équité pour les éducatrices. Et aussi parce que ça résoudra une partie des problèmes de pénurie de main-d’œuvre dans le réseau.

4) Il mettra une partie de l’argent dans le fonds consolidé du gouvernement du Québec pour payer d’autres dépenses ou réduire le déficit.

Au contraire des autres provinces, Québec dépense déjà 2,7 milliards par an pour son réseau de garderies subventionnées. Il n’est pas obligé d’investir 100 % du chèque de six milliards d’Ottawa dans les garderies. Mais les parents québécois s’attendent à davantage de places en CPE.

À lui seul, le chèque d’Ottawa permettrait de construire les 37 000 places manquantes en CPE (sur deux ans) et de financer ensuite ces 37 000 places à 8,50 $ par jour (il faut toutefois en garder une partie pour les hausses de salaire des éducatrices). Ça vous donne une idée de l’ampleur du chèque – qui provient des mêmes contribuables, mais on parlera de la dette fédérale une autre fois…

Québec n’a plus d’excuses. Voilà une occasion unique de relancer le réseau des CPE qui fait notre fierté. Même si on peste quand on attend pour une place.

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