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Tous les jours, sur Twitter, le ministre de la Santé, Christian Dubé, publie un tableau de bord des données liées à la COVID-19 : cas, hospitalisations, vaccination. Dans une petite case particulièrement intéressante, il est question du délestage des interventions chirurgicales, un sujet qui continue de susciter l’inquiétude malgré l’amélioration de la situation pandémique.

En date du 10 juillet, même si à peine 100 personnes étaient hospitalisées en lien avec la COVID-19, le système public de santé continuait de reporter 23 % des opérations qui devraient avoir lieu en temps normal.

Mais il y a une autre petite statistique plus encourageante juste à côté : en incluant l’actuel apport des cliniques privées, appelées en renfort par le gouvernement, cet écart de production rétrécit à 7 %. En règle générale, de semaine en semaine, ce chiffre rapetisse et nous rapproche de la normale. On ne parle même pas encore du rattrapage qui doit s’échelonner jusqu’en 2023.

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Avec le vieillissement de la population et l’accroissement des besoins, on voit difficilement comment on pourra faire rentrer le génie du privé dans la bouteille après la pandémie. Plus de 30 000 opérations y ont été déplacées dans la dernière année.

Et tout cela nous amène à poser une question incontournable : quelle place notre système de santé doit-il faire au privé à plus long terme ? Et la réponse doit être simple : la place qui permettra aux Québécois de recevoir des soins de santé de qualité dans des délais respectables tout en optimisant les budgets disponibles.

En d’autres termes, utilisons les forces du public et du privé pour donner les meilleurs soins aux meilleurs coûts aux contribuables. En mettant en place des balises claires.

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Par recours au privé, entendons-nous bien, nous ne parlons pas de demander aux patients de sortir de l’argent de leur poche, mais bien d’utiliser les ressources des cliniques privées pour augmenter la productivité du système de santé universel en matière chirurgicale.

Comme ce fut le cas pendant la pandémie. Les cliniques privées ont pu s’acquitter de tout un éventail d’interventions relativement simples : cataracte, remplacement de genoux et de hanches et autres opérations d’un jour. Les cas les plus complexes se font toujours dans les hôpitaux de la province.

Pour encadrer le tout, le gouvernement du Québec a conclu des ententes de deux ans avec les cliniques privées. Ces dernières n’ont pas fait l’unanimité. En négociant en pleine crise, plusieurs cliniques privées ont réussi à obtenir du gouvernement le versement d’une marge de profit de 15 % sur leurs services. C’est beaucoup.

Cependant, lors du renouvellement des ententes, le ministre n’aura pas le fusil sur la tempe et n’aura pas à se plier à toutes les demandes des cliniques privées, surtout s’il conclut des ententes s’échelonnant sur une décennie.

Le ministre devra aussi faire preuve de transparence.

Le recours au privé est intéressant s’il permet de gagner du temps et d’économiser de l’argent. Or, pour le moment, il est impossible de comparer les coûts puisque les données ne sont pas disponibles pour les interventions réalisées au public, au grand dam des chercheurs qui s’intéressent à la question. C’est déplorable et ça doit changer.

Il faudra aussi avoir en tête les enjeux de main-d’œuvre qui sont liés au recours accru aux cliniques privées. À la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), on confirme qu’il y a actuellement un exode des infirmières du public vers le privé, que ce soit par l’entremise des cliniques ou des agences de placement. La rémunération et les conditions de travail y sont souvent meilleures, les heures plus raisonnables. La pandémie n’a fait qu’accélérer le phénomène.

L’équation est donc simple, mais très difficile à résoudre : plus le gouvernement fera appel au privé pour pallier le manque de main-d’œuvre au public, plus le privé devra recruter des infirmières en leur offrant des conditions attrayantes, causant ainsi une plus grande pénurie de main-d’œuvre au public. C’est le diable qui se mord la queue. Et si on n’est pas prudent, à long terme, le bateau de sauvetage pourrait faciliter le naufrage du paquebot.

D’un autre côté, les meilleures conditions au privé obligent le système public à rajuster le tir en traitant mieux son personnel de la santé. C’était nécessaire.

Dans cette concurrence, il faudra trouver le juste équilibre pour ne pas enlever la jaquette d’hôpital à Paul pour la mettre à Pierre. Au bout du compte, c’est le patient, qui est aussi le contribuable et qui nourrit ce système de santé, qui doit y trouver son compte.

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