Il était une fois dans l’Est… une mère en détresse qui compose le 911 parce que son fils, couteau à la main, se croit menacé par des individus imaginaires. Les policiers débarquent à 7 h 30 du matin dans le quartier paisible de Repentigny, tentent le dialogue, puis le gaz poivre et finissent par tirer plusieurs coups de feu sur l’homme alors qu’il prend la fuite.

Ils le tuent.

Un autre Noir qui meurt lors d’une intervention policière.

Comme dans un vieux film, on voudrait pouvoir rembobiner ces malheureuses images. Effacer les coups de feu. Effacer l’appel. Revenir au début de l’histoire pour éviter la scène fatidique.

Évidemment, on ne peut pas revenir en arrière. Mais on doit agir davantage en amont pour que des histoires comme celle qui s’est déroulée dimanche dernier ne se reproduisent plus.

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Depuis 40 ans, le Québec a fait le choix de la désinstitutionnalisation. Aujourd’hui, les gens qui ont des problèmes de santé mentale, de plus en plus nombreux avec la pandémie, manquent cruellement de ressources. Le fardeau est particulièrement lourd pour les parents vieillissants qui doivent s’occuper d’un enfant, sans avoir autant de ressources une fois qu’il a passé le cap de l’âge adulte.

À moins de payer, il faut attendre des mois pour voir un psychologue ou un psychiatre. Cette médecine à deux vitesses est inacceptable. Et dommageable.

Le désengagement de l’État dans les services sociaux a provoqué une augmentation fulgurante du nombre d’appels à la police concernant des problèmes de santé mentale, qui représentent maintenant près du tiers de ses interventions.

À Montréal seulement, on a dénombré 35 000 appels de personnes en crise, en 2019. À Québec, le service de police en traite 16 par jour. Aucune région du Québec n’y échappe. À Thetford Mines, par exemple, le nombre d’appels liés à des ennuis de santé mentale a presque doublé (+ 89 %) en cinq ans.

C’est insensé.

Il faut miser sur la prévention plutôt que laisser les policiers gérer des crises dont ils ne sont pas les experts.

Il est vrai que le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, a annoncé un investissement de 100 millions de dollars en santé mentale, en novembre dernier, au surlendemain de l’attaque par un homme armé d’un sabre japonais et vêtu d’un costume médiéval qui a fait deux morts dans le Vieux-Québec le soir de l’Halloween.

On a vu le même genre de réaction à chaud, cette semaine, avec l’annonce d’une nouvelle escouade pour lutter contre la prolifération des armes à feu alors que l’enchaînement des fusillades cet été fait trembler les Montréalais, à juste titre.

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Mais pour résoudre véritablement les problèmes, il faut un plan à long terme, pas seulement des interventions à la pièce.

Ça tombe bien : le comité consultatif sur la réalité policière trace la voie à suivre dans son rapport définitif déposé cette année1.

On s’entend d’abord pour dire qu’il faudrait mieux sélectionner les policiers, en tenant compte non seulement de leur bulletin scolaire, mais aussi de leurs habiletés interpersonnelles, de leur intelligence émotionnelle et de l’ouverture à la diversité. Mais encore faut-il trouver un outil pour évaluer ces compétences.

À tout le moins, il faudrait redoubler d’efforts pour recruter plus de membres de minorités visibles ou ethniques, qui ne représentent qu’un famélique 5 % des effectifs policiers.

Il y a aussi du travail à faire pour mieux outiller les policiers, dont les trois quarts (72 %) estiment être mal formés pour intervenir dans des situations d’urgence auprès de personnes dont la santé mentale est perturbée.

Par ailleurs, il faudrait élargir à l’ensemble de la province les initiatives de jumelage de policiers et d’intervenants sociaux.

Plusieurs services de police ont mis sur pied des équipes mixtes, composées d’un policier en uniforme et d’un intervenant en civil, afin d’intervenir auprès de personnes dont la santé mentale est troublée.

Certains, comme celui de Laval, ont embauché des intervenants sociaux au sein de leur équipe. D’autres, comme celui de Gatineau, ont créé des ponts avec le réseau de la santé et des services sociaux ou des organismes communautaires de leur milieu.

Les équipes sont un succès. Elles permettent notamment d’éviter une judiciarisation inutile des dossiers. C’est une excellente chose, car on ne veut surtout pas envoyer en prison des gens qui devraient plutôt aller à l’hôpital.

Sauf que cette formule prometteuse se bute à des obstacles financiers. Tant dans le réseau public que dans les organismes communautaires qui œuvrent auprès des personnes qui ont des problèmes de santé mentale, l’argent se fait rare.

Il faut bonifier et pérenniser leurs budgets si on veut qu’ils puissent épauler les équipes policières à long terme.

Il faut aussi miser sur une police de proximité, branchée sur les organismes communautaires, qui peut agir en amont auprès des personnes vulnérables. Pour éviter les crises. Et pour faire en sorte que le scénario ne se termine pas par un appel fatidique.

Consultez le rapport définitif du comité consultatif sur la réalité policière Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion