Le président Jovenel Moïse assassiné dans sa résidence en pleine nuit par un commando. Ouf. Voilà un immense pavé de plus qui est tombé dans la mare d’Haïti dans la nuit de mardi à mercredi. Une mare qui débordait déjà, mais que le reste de la planète avait quelque peu oubliée.

Aujourd’hui, c’est à nouveau impossible d’ignorer la détresse du pays le plus pauvre des Amériques. Le sentiment d’impuissance d’une population qui vit dans une situation de grande insécurité depuis que les gangs criminels ont pris le contrôle de nombreux secteurs du pays. Les enlèvements pour rançon se multiplient et visent toutes les couches de la société.

On ne peut plus fermer les yeux non plus sur la crise politique qui secoue la petite République de 11,4 millions d’âmes. La rue demandait depuis des mois le départ du président, au pouvoir depuis février 2017. Malgré des décisions de la Justice haïtienne estimant qu’il outrepassait son mandat, Jovenel Moïse s’accrochait au pouvoir et gouvernait par décret depuis janvier 2020.

Mercredi cependant, l’opposition — qui voulait sa tête au figuré — n’était pas jubilatoire du tout après l’annonce de la mort bien réelle du président. Cette exécution a surpris tout le monde. Au moment d’écrire ces lignes, les rues du pays étaient désertes. Les Haïtiens retenaient leur souffle, ignorant ce qui les attend au lendemain de ce tremblement de terre politique.

PHOTO JOSEPH ODELYN, ASSOCIATED PRESS

Des motocyclistes roulent dans une rue vide près du Palais national à Port-au-Prince, en Haïti, mercredi

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Même si des suspects ont été arrêtés mercredi, on ignore pour le moment qui a commandité l’assassinat et qui l’a exécuté. Le premier ministre par intérim, Claude Joseph, a laissé entendre que les responsables étaient des « étrangers » parlant « espagnol et anglais », mais des vidéos qui circulent sur le web semblent remettre en cause cette version.

Même si c’est loin d’être gagné d’avance, osons espérer qu’une enquête policière fera la lumière sur les circonstances et les motifs entourant ce crime odieux qui plonge le pays dans une immense instabilité.

En fait, l’alignement des étoiles est tellement catastrophique qu’il ferait faire une crise de nerfs à un astrologue de carrière. En principe, si le président meurt en Haïti, il doit être remplacé temporairement par le premier ministre. Mais voilà, Jovenel Moïse venait de nommer le 5 juillet un nouveau premier ministre, Ariel Henry. Ce dernier n’étant pas encore entré en poste au moment de l’assassinat, mercredi, c’est le premier ministre par intérim, Claude Joseph, qui s’est arrogé le pouvoir, une décision que plusieurs experts contestent.

Dans de telles circonstances, la plus haute cour du pays devrait pouvoir trancher, mais cette fois, ce n’est pas possible : le premier magistrat du pays est mort de la COVID-19 il y a à peine quelques jours, et ce, même si le pays a largement résisté à l’épidémie.

Ajoutez à cela que le nouveau premier ministre, Ariel Henry, venait d’être nommé pour coordonner la tenue cet automne d’élections longtemps réclamées autant en Haïti qu’à l’étranger. À peine annoncées, ces élections sont remises en cause par le chaos ambiant. Tout ça ressemble à un jeu de dominos tout droit sorti d’un film.

Et fort malheureusement, un tel climat d’incertitude pourrait bénéficier aux gangs armés qui ne se gêneront fort probablement pas pour étendre leur emprise sur le petit pays.

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Que peut faire le reste du monde ? Tous les experts haïtiens consultés pour cet éditorial étaient incapables de répondre à cette question. Après tout, les plans de reconstruction et les tentatives d’interférence politique des dernières années n’ont pas été couronnés de succès. Loin de là.

Mercredi, dans un gazouillis, Justin Trudeau a dénoncé avec raison l’assassinat et dit que le Canada était prêt à offrir aux Haïtiens toute l’aide dont ils ont besoin. On ajouterait : offrir l’aide qu’Haïti demandera. Et ces demandes n’ont pas à émaner seulement du pouvoir politique ébranlé. Nous devons tendre l’oreille aux grands acteurs de la société civile.

En ce moment, nous devons surtout garder les yeux bien rivés sur le pays des Antilles, sur le sort de la population et encourager une transition politique pacifique. Haïti a souffert plus que son lot et n’a surtout pas besoin d’un bain de sang commis dans l’indifférence. Notre vigilance est plus que jamais de mise.

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