Il a toujours été difficile d’imaginer de façon très concrète l’horreur des pensionnats et de comprendre l’effet dévastateur qu’ils ont pu avoir sur les communautés autochtones.

Difficile, pour la plupart d’entre nous, de prendre la mesure des tragédies qui s’y vivaient au quotidien, parallèlement à l’assimilation culturelle forcée. Du climat de violence et de coercition qui y régnait.

Difficile, enfin, de concevoir que tout cela ait pu se produire ici, dans un pays qui fait la morale depuis plusieurs décennies à ceux qui bafouent les droits de leurs peuples partout sur la planète.

On vient de toute évidence d’atteindre un point de bascule.

À partir de maintenant, on ne peut plus se mentir.

À partir du moment où l’on trouve les restes de 215 enfants sur le site d’un ancien pensionnat de Kamloops, on ne peut plus regarder dans une autre direction parce que ça nous arrange.

À partir du moment où l’on trouve 751 sépultures anonymes sur le site d’un ancien pensionnat de Marieval, on peut encore moins se mettre la tête dans le sable – comme on l’a fait trop longtemps.

Qu’on le veuille ou non.

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La mort d’un homme est une tragédie alors que celle de 1 million d’hommes est une statistique, dit-on.

Même si la Commission de vérité et réconciliation du Canada avait pu établir que des milliers d’enfants étaient morts dans les pensionnats pour autochtones, ça pouvait encore, pour beaucoup, relever de l’abstraction.

Ce n’est maintenant plus possible.

Rien ne peut être plus concret que la découverte des restes de centaines d’enfants, sur deux sites, en moins d’un mois.

On ne détournera plus le regard.

Le premier ministre du Canada vient d’ailleurs d’admettre publiquement qu’il y a « certainement » eu des actes criminels commis dans les pensionnats.

La commotion est telle que le drame des pensionnats est en train de s’inscrire dans notre conscience collective.

« Ouvrez votre esprit, ce pays a besoin de connaître la vérité et d’entamer un processus de réconciliation », a affirmé le chef de la Première Nation de Cowessess, Cadmus Delorme.

Le Canada au grand complet vient de mettre le doigt dans cet engrenage implacable qu’est une quête de vérité.

Quand on sait, on ne peut plus se taire. Et quand on sait, on veut comprendre.

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Les macabres découvertes se poursuivront, chacune souillant d’une nouvelle tache la grande courtepointe canadienne qu’on aime s’imaginer immaculée.

Il faudra continuer à enquêter pour bien comprendre l’ampleur de ce drame. Pour en saisir encore davantage sa portée, aussi.

Des appels se font entendre pour une nouvelle enquête publique, spécifiquement sur les pensionnats.

« Nous avons fait, en grande partie, ce que nous pouvions, mais nous étions très loin de ce dont nous avions besoin en matière d’enquête », a déclaré récemment Murray Sinclair, qui a présidé la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Celle-ci a tenté de se pencher de façon plus approfondie sur la question des pensionnats, mais la requête avait été rejetée.

Mais ça, c’était dans le Canada d’avant. On n’oserait probablement pas, aujourd’hui, refuser une telle demande.

Car nos élus aussi ont franchi un cap. Ils savent que le moment est venu de se regarder dans le miroir. Désormais, la sournoiserie de ceux qui tenteront encore de gagner du temps va nous sauter aux yeux.

À Ottawa, on avance dans la bonne direction. On a débloqué récemment 27 millions pour les recherches sur les sites des pensionnats et on se dit prêt à offrir davantage de ressources.

Par ailleurs, le ministre Marc Miller a fait savoir qu’Ottawa ne mettrait pas de bâtons dans les roues d’une nouvelle enquête publique, spécifiquement sur les pensionnats, si telle est la volonté des communautés autochtones.

On ne peut plus plaider l’innocence, elle est définitivement perdue. Et on ne peut plus prétendre que le dossier est clos, la plaie est béante.

On parle souvent de réconciliation avec les peuples autochtones. Bien sûr, c’est ce qu’on doit souhaiter, dans les meilleurs délais. Mais il serait naïf de croire que c’est pour demain.

Le drame non résolu des pensionnats nous rappelle que pour se tourner vers l’avenir, il faut d’abord se plonger dans le passé. Et pour vraiment cesser de se mentir, il faut connaître toute la vérité.

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