Se faire réveiller en pleine nuit par des pompiers qui nous demandent de quitter les lieux. Découvrir que les murs pare-feu de l’édifice qu’on habite, en tant que locataire, depuis des décennies, ont été retirés sans avertissement. Partir avec ses affaires à la hâte.

Et tout ça, quelque temps après avoir refusé une offre en argent du propriétaire pour quitter le logement qu’il dit vouloir rénover, agrandir, subdiviser ou faire changer de vocation.

Personne n’a envie de jouer dans ce film. Pourtant, en quelques mois à peine, le même scénario, mettant en vedette des acteurs complètement différents, s’est produit dans deux édifices de logements de Montréal.

Ça donne froid dans le dos.

***

Des défenseurs des droits des locataires utilisent le terme « rénovictions » pour parler de ces deux incidents plutôt extrêmes, mais aussi d’un nombre grandissant d’évictions de locataires en cette période de surchauffe immobilière.

L’objectif des propriétaires, disent-ils, serait de louer à prix d’or les logements rénovés dans un marché en pleine ébullition. Comme le notait dans un reportage notre collègue Philippe Teisceira-Lessard, des locataires ont d’ailleurs pu trouver en ligne des annonces d’appartements rénovés dans l’édifice qu’ils habitent, mais dont on veut leur montrer la porte. Le loyer affiché est le double de ce qu’ils payent actuellement.

***

Les locataires ne sont pas sans recours. Ils peuvent contester un avis d’éviction au Tribunal administratif du logement (TAL). Saisi d’une telle requête, le tribunal doit statuer si l’avis d’éviction est conforme. Le propriétaire doit faire la démonstration qu’il demande à son locataire de partir pour des raisons valables, permises par la loi. Vouloir faire de grosses rénovations pour rendre un immeuble plus rentable n’en fait pas partie.

Mais des locataires se plaignent que le tribunal intervient trop tard, quand le mal est déjà fait.

La ministre de l’Habitation planche donc ces jours-ci sur un projet qui obligerait le propriétaire à consulter le tribunal si l’ordre d’éviction est contesté plutôt que de faire tomber la responsabilité sur le locataire. Ça tombe sous le sens et ça évitera de mettre la charrue avant les bœufs.

Cependant, ce nouveau règlement ne permettrait pas d’arrêter un propriétaire d’enlever les murs coupe-feu et de provoquer une évacuation d’urgence de ses locataires. Dans un cas comme celui-là, c’est plutôt le service des incendies qui est appelé en renfort. La loi municipale permet de donner des amendes aux propriétaires dont les édifices ne sont pas conformes.

Le problème, c’est que les amendes – qui s’élèvent à un maximum de 4000 $ lors d’une première offense – sont peu dissuasives.

***

Pour contrer le phénomène des rénovictions, la Ville de Montréal propose pour sa part de mettre sur pied un registre national des loyers qui permettra à tout nouveau locataire de savoir combien payait l’occupant précédent et de contester toutes hausses supérieures à celles reconnues par l’État dans l’outil de calcul pour la fixation des loyers. L’an dernier, lorsque le Tribunal administratif du logement a été saisi de litiges, il a accordé en moyenne des hausses de loyer de 1,9 % dans le cas d’appartements non chauffés qui n’avaient pas subi de travaux majeurs et de 4,3 % pour les logements ayant subis des rénovations. Or, dans les faits, le prix des loyers vacants a augmenté de 30 % en un an, selon des études statistiques. Il y a là un monde de différence.

Ceux qui militent pour un registre des loyers croient que ce nouvel outil couperait l’herbe sous le pied des propriétaires qui veulent gonfler les loyers.

Il faudra suivre de près le projet pilote de registre auquel Montréal vient tout juste de donner le feu vert, espérant convaincre le gouvernement du Québec d’emboîter le pas.

Nous sommes d’avis cependant que ce registre doit être accompagné d’un nouveau calcul de fixation des loyers qui permettra aux propriétaires d’amortir les frais de rénovation sur une période plus raisonnable. Aujourd’hui, un propriétaire met 43 ans à récupérer sa mise. Une éternité. Et pas exactement une incitation à bien entretenir un immeuble locatif.

* * *

Cela dit, toutes ces mesures ne feront pas de miracles devant certains propriétaires sans scrupules, qui s’intéressent plus à leur portefeuille qu’au bien-être et à la sécurité de leurs locataires. La police, qui n’aime pas trop se mêler des relations proprio-locataires, conseillant aux gens d’appeler la Régie du logement ou le TAL, ne doit pas hésiter à ouvrir des enquêtes quand une évacuation d’urgence semble cacher des intentions malveillantes.

Il y a tout ce qu’il faut dans le Code criminel pour accuser de fraude, de négligence criminelle ou de méfaits un propriétaire véreux ou un entrepreneur en construction qui s’en fait le complice. Et une accusation au criminel risque d’être pas mal plus dissuasive qu’une amende en forme de tape sur la main.

Non, être propriétaire ne donne pas tous les droits. Il est grand temps de le rappeler à certains.

Rectificatif
L’article ci-dessus a été modifié. La version originale affirmait que les hausses permises étaient de 0,5 %. Or, ce chiffre ne reflétait que la hausse de l’une des composantes (revenu net) servant à établir l’augmentation du loyer en 2019. Nos excuses.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion