Qu’est-ce qui coûte un demi-milliard de dollars et risque de faire en sorte que les Canadiens vont changer quatre trente sous pour une piasse ? Réponse : les prochaines élections fédérales qui pourraient être déclenchées vers la fin d’août. Ou non.

Évidemment, la démocratie, ça n’a pas de prix. Mais on peut quand même se demander si on a vraiment besoin de retourner aux urnes alors que les libéraux ne sont pas encore à mi-mandat.

Il est vrai qu’après 18 mois, on approche de l’espérance de vie moyenne d’un gouvernement minoritaire qui est de 21 mois au Canada depuis les années 1950. Sauf que la dernière session parlementaire, qui prendra fin le 23 juin, a prouvé que le gouvernement arrive à gouverner, même s’il est vrai que les dernières semaines ont été plus acrimonieuses.

La géométrie de la Chambre des communes où l’opposition est divisée a permis au gouvernement de faire avancer ses projets en formant des alliances à la carte.

Grâce au soutien des néo-démocrates, par exemple, le budget déposé en avril dernier qui prévoit des investissements colossaux de 100 milliards sur trois ans pour la relance économique ira de l’avant.

Avec l’appui du Bloc québécois, qui a à cœur l’industrie culturelle québécoise, le gouvernement devrait faire passer le projet de loi C-10 pour moderniser la Loi sur la radiodiffusion et ainsi mieux encadrer les géants du web comme Netflix. Tout ça malgré l’obstruction des conservateurs qui s’acharnent à y voir une atteinte à la liberté d’expression.

Et n’oublions pas que, la semaine dernière, tous les chefs de parti se sont levés pour appuyer une motion bloquiste clamant que le Québec est une nation et que le français est sa seule langue officielle. Rien de moins.

Cette journée peu banale au Parlement canadien a démontré que les partis peuvent s’entendre, y compris sur les questions les plus délicates.

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Reste que d’un point de vue politique, la tentation est forte pour les libéraux de partir en campagne cet été.

Les résultats des élections provinciales qui se sont déroulées durant la pandémie sont de bon augure. Tant en Colombie-Britannique, qu’en Saskatchewan et à Terre-Neuve-et-Labrador, les gouvernements sortants ont obtenu une majorité.

Déjà, les troupes de Justin Trudeau ont commencé à planifier leur marketing électoral. Dans le budget, ils ont prévu un versement spécial de pension de la Sécurité de la vieillesse aux personnes de 75 ans et plus qui tombera en août prochain… comme par hasard.

À ce moment, une grande partie de la population sera entièrement vaccinée. Le succès de la campagne de vaccination devrait faire oublier les ratés d’Ottawa dans la gestion de la frontière et du transport aérien.

Et l’opposition n’aura pas eu le temps de rebâtir sa marque de commerce.

Ces derniers mois, le chef du parti conservateur, Erin O’Toole, a été plus occupé à se battre contre son propre parti qu’à marquer des points contre l’adversaire. On l’a bien vu lorsqu’une de ses députées a décidé de remettre l’avortement sur la sellette, en plein au moment où il présentait son plan pour l’environnement… et juste après que la majorité des délégués au congrès conservateurs eut nié le réchauffement climatique.

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Mais avec le déclenchement d’une campagne, les partis de l’opposition retrouveront l’éclairage qui leur a fait cruellement défaut tout au long de la pandémie. Toutes les caméras convergeaient vers le premier ministre qu’il était de mauvais ton d’attaquer, alors que la COVID-19 était l’ennemi commun.

Lors d’un prochain débat des chefs, la situation sera renversée. Justin Trudeau pourrait se retrouver à jouer à un contre quatre.

La partie n’est pas gagnée d’avance, comme le démontre un sondage Abacus dévoilé cette semaine.

Les néo-démocrates ont fait une remontée éclair qui n’est certainement pas étrangère à la réaction impressionnante de Jagmeet Singh face à l’attaque contre une famille musulmane à London et la découverte des restes d’enfants autochtones à Kamloops.

Le ciel est plus sombre pour les conservateurs qui pâtissent de la grogne contre les premiers ministres conservateurs de l’Ontario et de l’Alberta, ce qui pourrait faire des gains aux libéraux. À moins qu’Erin O’Toole remporte la bataille cruciale du 905, lui qui vient de la banlieue de Toronto.

Pour atteindre la majorité, les libéraux doivent remporter 15 circonscriptions de plus. Mais il faut de très bonnes lunettes pour les dénicher. La situation est fragile.

S’ils attendent, les libéraux perdront le contrôle du calendrier, car en 2022, les élections en Ontario et au Québec vont solliciter l’attention des électeurs. Et rendu en 2023, qui sait où l’on en sera ? Après avoir dépensé par milliards durant la pandémie, les questions plus difficiles finiront par se poser.

S’ils décident de lancer une campagne électorale en août, les libéraux risquent d’atterrir avec un nouveau gouvernement minoritaire, comme lorsque Stephen Harper avait vu la majorité lui échapper pour un second mandat, en 2008.

Tout ça pour ça. Tout ça alors que le gouvernement pourrait… gouverner.

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