L’Église catholique de Montréal devrait ressortir le panneau publicitaire qu’elle avait installé, en 2011, à l’entrée de l’ancien pont Champlain qui tombait en ruine.

« Faites votre prière. »

Ce message ironique cadrerait bien aux abords du pont de l’Île-aux-Tourtes, fermé en catastrophe jeudi, au grand malheur des 87 000 automobilistes qui empruntent chaque jour ce segment de l’autoroute 40 dans l’ouest de Montréal.

Où éclatera la prochaine urgence ? Au pont Honoré-Mercier ? Au pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine ? Sur la Métropolitaine ?

Ne nous mettons pas la tête dans le sable, nos infrastructures souffrent d’un déficit chronique d’entretien. Ce n’est pas mêlant, presque la moitié du réseau routier (46 %) du Québec se trouve dans un état de décrépitude avancé, selon le Plan québécois des infrastructures, déposé en mars.

Si on voulait ramener l’ensemble de nos ponts et de nos routes à un niveau acceptable, demain matin, il faudrait investir 18 milliards de dollars.

Mais attendez, on aurait aussi besoin de 5 milliards pour nos écoles qui souffrent de problèmes de ventilation et de moisissure. Et un autre milliard et demi pour le réseau de la santé… quoique ce chiffre sous-évalué fait bien rire les experts.

Juste la réfection de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, où les blocs de béton se détachent des murs, nécessiterait 3 milliards. Et on n’a pas encore parlé des CHSLD où les aînés enfermés durant la pandémie n’avaient même pas l’air climatisé.

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Bref, il y a énormément de chemin à rattraper.

Après un boom de la construction entre 1965 et 1975, la période glorieuse du béton, Québec a délaissé ses infrastructures durant des décennies. Au début, ça ne paraissait pas trop, car c’était encore relativement neuf. Il aura fallu des morts lors des écroulements des viaducs du Souvenir (2000) et de la Concorde (2006) à Laval pour qu’on se réveille.

Mais on est encore très loin du compte.

On peine à réduire le déficit global de nos infrastructures publiques, qui totalise 28 milliards. Il s’agit d’une dette cachée, d’un passif que nous refilons aux prochaines générations.

Il est vrai que la CAQ a ajouté 4,5 milliards pour les infrastructures dans son dernier budget. Mais ce n’est pas suffisant. Les investissements prévus d’ici 10 ans dans le plan des infrastructures permettront de résorber seulement les trois quarts (78 %) du déficit d’entretien actuel.

Sauf que pendant ce temps, les actifs continueront de se détériorer. Alors, on n’est pas sortis du bois.

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La moindre des choses serait que Québec priorise l’entretien de ses actifs existants avant de se lancer dans de nouveaux projets, un peu comme le propriétaire d’une maison doit réparer son toit qui coule avant de se faire creuser une piscine.

Mais cette semaine, la Coalition avenir Québec dévoilait plutôt son projet de troisième lien pour relier Québec et Lévis avec un tunnel dont le coût pourrait atteindre 10 milliards, une somme pharaonique pour un projet qui accroîtra le flot de voitures et l’étalement urbain.

Que voulez-vous ? Il est toujours plus payant politiquement de promettre un nouveau stade, une nouvelle route ou un nouveau pont que d’investir dans l’entretien des infrastructures actuelles qui soulève parfois la colère des citoyens allergiques aux cônes orange.

Mais négliger l’entretien, ça finit par coûter encore plus cher. C’est comme si vous laissiez tomber votre nettoyage annuel chez le dentiste. Après quelques années, gare au traitement de canal et à la couronne. Ouille ! Aïe !

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Pour séparer le béton de la politique, devrait-on créer une Agence des infrastructures, comme l’avait proposé le gouvernement péquiste en 2013 ?

Il y a du bon dans cette idée de transférer l’entretien des infrastructures à un organisme compétent et indépendant qui veillerait aux intérêts à long terme des usagers et des contribuables. Ce genre de formule existe en Nouvelle-Zélande, en Suède et en Colombie-Britannique.

Mais encore faut-il que cette nouvelle structure ait les coudées franches. À ce chapitre, l’exemple de la nouvelle Autorité régionale de transport métropolitain laisse perplexe. Sa mission est de concerter les initiatives de transports collectifs dans la région de Montréal… ce qui n’empêche pas le gouvernement d’en faire à sa tête avec le REM.

Si on veut se sortir, une bonne fois pour toutes, de la gestion en mode catastrophe des infrastructures, il nous faut un nouveau crédo.

Celui-ci pourrait s’inspirer de ce que la CAQ vient d’imposer aux syndicats de copropriétaires qui doivent tenir un carnet d’entretien de l’immeuble et chiffrer les sommes nécessaires pour payer les réparations à venir. Autrement, trop de copropriétaires négligeaient l’entretien normal, préférant refiler en douce les problèmes aux futurs copropriétaires. Après moi, le déluge.

Suivant cette logique, le gouvernement devrait imposer l’élaboration d’un calendrier d’entretien sur plusieurs décennies avant le lancement de chaque nouveau projet d’infrastructure.

Pour ses actifs actuels, il devrait développer un plan qui permettrait véritablement de ramener l’entretien sur une trajectoire saine.

Et par souci d’indépendance, le Vérificateur général devrait donner sa bénédiction.

Amen.

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