« Tout va très bien, Madame la Marquise. Tout va très bien, tout va très bien. Pourtant, il faut que l’on vous dise, on déplore un tout petit rien. »

Toute la semaine, on avait envie de chanter cette sinistre chanson en écoutant les témoignages du personnel soignant lors de l’enquête publique de la coroner Géhane Kamel qui doit faire la lumière sur les circonstances entourant la mort de Joyce Echaquan.

Rappelons que la femme atikamekw de 37 ans est morte en septembre dernier quelques minutes après s’être filmée en direct sur Facebook pendant qu’on entendait une infirmière et une préposée aux bénéficiaires tenir des propos racistes et blessants à son endroit. Mme Echaquan, elle, appelait à l’aide et affirmait être surmédicamentée. La vidéo a choqué le pays en entier et soulevé des tonnes de questions auxquelles Mme Kamel a le mandat de trouver des réponses.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La coroner Géhane Kamel

Y a-t-il du racisme à l’hôpital de Joliette à l’égard des membres des Premières Nations ? a-t-elle demandé encore et encore au cours de la semaine. Au début, elle a eu droit à des « Tout va très bien, tout va très bien » puis à quelques commentaires timides, notant qu’il y a peut-être, en effet, un problème.

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Sérieusement, près de huit mois après la mort de la mère de famille de Manawan dans des circonstances troubles, on aurait pu s’attendre à pas mal plus de coopération de la part des membres du personnel soignant, d’autant plus que leur identité est protégée par une ordonnance de non-publication.

Même les deux employées qui ont tenu des propos horribles à l’égard de Joyce Echaquan et qui ont perdu leur emploi n’arrivaient pas à voir comment ce qu’elles ont dit était teinté de préjugés.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

En septembre 2020, peu après la mort de Joyce Echaquan, un rassemblement avait eu lieu devant l’hôpital de Joliette.

Lors de son témoignage, l’infirmière qui a notamment dit à une Joyce Echaquan en détresse qu’elle était « épaisse en câlice » et qu’elle était « ben meilleure pour fourrer » s’est même défendue en affirmant que ces insultes, prononcées sous le coup de la colère due à la fatigue, n’avaient rien à voir avec le fait que sa patiente était atikamekw.

« J’aurais pu dire la même chose à quelqu’un de blanc, une madame sur le B. S., qui a six, sept enfants, qui consomme […] qui est inadéquate », a-t-elle affirmé sans sembler comprendre qu’elle venait d’énumérer une bonne partie des préjugés qui font tant souffrir les membres des Premières nations.

Dans le déni, difficile de faire mieux.

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Il faut noter que cette infirmière, en larmes, a présenté des excuses à la famille de Mme Echaquan. Après ce moment d’émotions, à l’ajournement des audiences, les proches de Mme Echaquan ont surtout retenu et déploré le « manque d’honnêteté » de plusieurs témoignages. On les comprend, ils veulent savoir pourquoi cette femme qui était au cœur de leur univers est morte alors qu’elle allait se faire soigner pour des maux d’estomac. Ils n’ont pas de patience pour les exposés édulcorés de professionnels qui devaient veiller sur elle.

La coroner non plus et elle l’a dit haut et fort. Mme Kamel n’y est pas allée de main morte tout au long de la semaine. Cependant, sans même être dans son siège, il était très facile d’être exaspéré par les réponses alambiquées qui lui ont été données. La coroner a souhaité à quelques témoins de faire ce qu’il faut pour trouver la paix intérieure.

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Pour cela, ça va prendre un réel examen de conscience.

C’est vrai pour les employés de l’hôpital de Joliette, mais aussi pour le gouvernement du Québec, qui, à ce jour, refuse de souscrire au principe de Joyce, un énoncé rédigé par les leaders atikamekw dans la foulée de la mort de Mme Echaquan.

Ce principe « vise à garantir un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé, ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé », peut-on lire dans le document auquel souscrit le Collège des médecins et qu’a soutenu le gouvernement de Justin Trudeau.

> Lisez le document présentant le principe de Joyce

Malgré l’enquête du coroner en cours. Malgré les conclusions de la commission Viens et de la Commission vérité et réconciliation du Canada. Malgré le dossier percutant de nos collègues Caroline Touzin et Gabrielle Duchaine qui démontrait que plus de 200 enfants autochtones sont morts dans des circonstances violentes ou obscures depuis 2000 au Québec. Malgré toutes les preuves accablantes des souffrances des autochtones et du rôle de l’État, le gouvernement du Québec refuse d’adhérer à ce principe parce qu’il équivaudrait à reconnaître le racisme « systémique », ce concept que François Legault fuit comme la peste. C’est vrai que c’est plus facile de chanter « Tout va très bien, Madame la marquise ».

> Lisez les paroles de la chanson « Tout va très bien, Madame la Marquise »

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