En décembre dernier, il s’est produit un phénomène astronomique exceptionnel : l’alignement de Jupiter et de Saturne. Tant mieux si vous avez pu l’observer, car cette « Grande conjonction » ne se reproduira pas avant… 2080.

De la même manière, la Coalition avenir Québec (CAQ) profite d’un rare alignement des planètes pour sa réforme de la Charte de la langue française. La pandémie qui a retardé le dépôt du projet de réforme de la loi 101 a finalement permis d’atteindre un étonnant consensus, tant avec Ottawa qu'avec l’opposition à Québec qui s’entendent sur la nécessité de mieux défendre le français.

Prenez la question des entreprises de compétence fédérale que la CAQ veut soumettre aux dispositions de la loi 101. Eh bien, Ottawa a annoncé, en février, son intention d’aller dans le même sens avec son projet de réforme de loi sur les langues officielles du Canada, ce qui aurait été impensable il n’y a pas si longtemps.

Au lieu des confrontations du passé, on peut maintenant espérer que Québec et Ottawa travaillent main dans la main.

Prenez aussi les PME. Dans son plan pour la langue française, dévoilé en avril, le Parti libéral du Québec s’est dit prêt à imposer des normes allégées de la loi 101 aux entreprises de 25 à 49 employés tout en les accompagnant dans la francisation de leurs employés.

Tout ça ressemble drôlement à la proposition de la CAQ, que le premier ministre François Legault a glissée dans son projet en fin de parcours.

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Avec une cote de popularité gonflée par la pandémie, la CAQ a le bon timing pour présenter sa réforme de la loi 101. Elle a aussi le bon dosage.

Après tout, la CAQ est une coalition. Elle est bien outillée pour couper la poire en deux afin de satisfaire autant les anciens péquistes, comme François Legault lui-même, que les ministres issus du monde des affaires qui ont la compétitivité des entreprises à cœur.

Évidemment, il y aura toujours des mécontents.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Simon Jolin-Barrette, ministre responsable de la Langue française

Le Parti québécois se plaint que le projet n'aille pas assez loin. Les petites entreprises dénoncent les règles et la paperasse qui seront superflues, il est vrai, pour celles qui sont établies à Rimouski ou à Trois-Rivières.

Mais le projet a le grand mérite de pas raviver les vieilles querelles linguistiques dont l’électorat a soupé.

Dans le cas des municipalités bilingues, par exemple, la CAQ a évité une approche à l’emporte-pièce qui aurait mis le feu aux poudres. Ainsi, les municipalités qui veulent maintenir l’anglais, même si les anglophones y sont moins de 50 %, devront soumettre la résolution au vote des citoyens.

Au lieu de trancher elle-même, la CAQ a donc habilement envoyé la patate chaude aux villes… et ultimement aux citoyens. Difficile de s’opposer à la démocratie.

Du côté des cégeps, la CAQ s’est heureusement gardée d’imposer la loi 101 qui aurait fermé la porte aux francophones et aux allophones désireux de parfaire leur maîtrise de l’anglais. La réforme table plutôt sur un plafonnement des places dans les cégeps anglophones, une formule à laquelle les cégeps se sont déjà résignés.

Il faut toutefois se méfier d’un détail : la CAQ exigera que les cégeps anglophones priorisent les élèves anglophones. Par le fait même, cela réduira les places pour les francophones et les allophones, puisque certains cégeps refusent les deux tiers des demandes d’admission.

Il ne faut pas que cette mesure soit une manière détournée d’appliquer la loi 101 aux cégeps, comme le préconise le Parti québécois, une mesure jugée « extrémiste » par le premier ministre Legault.

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Malgré sa recherche d’un « compromis raisonnable » la CAQ n’a pas ménagé ses effets de toge.

Elle a décidé d’appliquer la clause dérogatoire à l’ensemble de son projet, même si le ministre Simon Jolin-Barrette n’a pas pu dire quelles dispositions au juste risquaient d’être jugées inconstitutionnelles.

L’exemple de la Charte de la laïcité où la CAQ a aussi utilisé la clause dérogatoire comme un bulldozer, selon un récent jugement de la Cour supérieure, prouve pourtant que cela ne permet pas d’éviter les poursuites.

Ce recours apparaît donc comme un geste symbolique visant à nier haut et fort la légitimité des tribunaux dans la protection des droits et libertés.

Autre grand coup d’éclat : la CAQ veut modifier la Constitution pour reconnaître que les Québécois forment une nation et que le français est la langue officielle du Québec. Ce ne serait pas première fois que la province procède à une modification unilatérale (en 1968, la province a aboli le Conseil législatif du Québec, l’équivalent du Sénat).

Tout cela soulèvera quand même des enjeux théoriques qui amuseront peut-être les constitutionnalistes, mais qui auront peu d’effet sur le déclin appréhendé du français.

Cela dit, la réforme tous azimuts comporte plusieurs mesures terre à terre qui auront un véritable impact positif sur le marché du travail et le commerce de détail. Cela mérite d’être souligné.

Et surtout, la réforme ne provoquera pas de tremblements de terre, à l’image des Grandes conjonctions astronomiques qui ont suscité bien des frayeurs, à travers l’histoire, mais qui n’ont jamais causé de cataclysme.

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