C’est le problème quand on a plusieurs chapeaux : on ne sait pas toujours lequel mettre le matin. Et il arrive qu’on parte avec le mauvais.

C’est ce qui semble être arrivé à Simon Jolin-Barrette dans le dossier du bilinguisme des juges à la Cour du Québec : il a confondu son chapeau de ministre de la Justice avec celui de ministre responsable de la Langue française. (Notons qu’il possède aussi ceux de ministre responsable de la Laïcité et de la Réforme démocratique, de ministre responsable de la Montérégie et de leader parlementaire du gouvernement dans sa collection).

En se mêlant ainsi dans ses rôles, le ministre a créé une tempête de toutes pièces en offensant la magistrature au passage.

Un bien beau gâchis.

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Rappelons les faits. Nos collègues Philippe Teisceira-Lessard et Yves Boisvert rapportaient mardi qu’une déplorable chicane se déroule entre le ministre Jolin-Barrette et la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau.

Pour pourvoir un poste de juge au palais de justice de Longueuil, la juge Rondeau a fourni ses exigences au gouvernement. Elle demandait notamment un candidat qui maîtrise l’anglais. Cette exigence est parfaitement justifiée. La loi permet à tout citoyen d’utiliser l’anglais ou le français devant les tribunaux au Québec. Et la juge Rondeau nous dit que dans la grande région de Montréal, l’anglais est assez utilisé pour qu’on exige que les juges soient bilingues.

C’est d’autant plus vrai qu’un juge ne sait pas toujours d’avance qui va se présenter devant lui. Même dans un procès qui se déroule en français, un témoin peut vouloir s’exprimer en anglais. Et un juge de rechange ne peut pas attendre derrière la porte si un collègue unilingue francophone se bute à un problème…

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre Simon Jolin-Barrette

On n’a absolument aucune raison de remettre en question cette analyse. Lucie Rondeau est juge en chef de la Cour du Québec et est mieux placée que quiconque pour connaître les besoins de sa Cour. Elle est mieux placée, en particulier, qu’un ministre qui travaille de son bureau de Québec.

Mais Simon Jolin-Barrette a décidé de voir là un combat. Il a exigé qu’on lui démontre pourquoi le nouveau juge devrait maîtriser l’anglais, réclamant des statistiques qui n’existent pas. On comprend la juge en chef de s’être offusquée devant un acte aussi flagrant de microgestion.

La démarche est d’autant plus étonnante que le règlement qui encadre la nomination des juges stipule que le gouvernement choisit les candidats « après avoir pris en considération les besoins exprimés par le juge en chef de la Cour du Québec ». Selon le spécialiste du droit constitutionnel Frédéric Bérard, le ministre Jolin-Barrette transgresse même carrément ici le principe d’« indépendance institutionnelle ».

Quelle mouche a piqué le ministre dans ce dossier hyperpointu ? Aux dernières nouvelles, personne ne manifestait dans les rues pour dénoncer le fait que les juges de Longueuil doivent parler anglais.

Au contraire, c’est la maîtrise insuffisante de l’anglais dans le système de justice qui cause certains problèmes. L’an dernier, le militant anarchiste Jaggi Singh a été libéré des accusations qui pesaient sur lui parce que les procureurs de la Ville de Québec étaient incapables de tenir un procès en anglais. Et encore dans nos pages, notre collègue Philippe Teisceira-Lessard a rapporté qu’une juge de la Cour du Québec a dû être rapatriée d’urgence d’une communauté crie parce qu’elle ne maîtrisait pas assez l’anglais pour y présider un procès.

Ces exemples montrent que les exigences de la juge Lucie Rondeau sont parfaitement justifiées… et que le combat idéologique de Simon Jolin-Barrette est vraiment mal avisé.

Oui, le français doit être défendu au Québec. Mais le ministre responsable de la Langue française aurait tout intérêt à monter au front pour les vraies batailles au lieu d’en inventer pendant qu’il occupe son rôle de ministre de la Justice.

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