La liberté universitaire est dans l’ADN même des universités. Les premières d’entre elles ont été créées au Moyen-Âge justement pour que les savants et leurs étudiants pensent, discutent, fassent progresser la science à l’abri des diktats des gouvernants, des religieux et des normes sociales dominantes.

On n’avance pas que la Terre est ronde sans causer quelques levées de boucliers.

Ces jours-ci, le concept de liberté universitaire est à nouveau propulsé à l’avant-scène après que plusieurs professeurs ont dénoncé le climat d’intimidation auquel ils font face quand ils tentent de discuter en classe de certains concepts ou de présenter des œuvres qui contiennent des mots jugés offensants par quelques étudiants.

Notre collègue Isabelle Hachey vient tout juste de signer une série d’articles démontrant que le sujet inquiète bien au-delà de l’affaire Verushka Lieutenant-Duval à l’Université d’Ottawa. Et si on regarde aux États-Unis et en France, on lit des histoires fort similaires à celles dénoncées sur nos campus.

La fausse bonne idée

Ici, la question a pris assez d’ampleur dans les médias pour que le gouvernement veuille s’en mêler. La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, a même évoqué dans nos pages la possibilité d’écrire une loi-cadre ou un énoncé gouvernemental pour protéger la liberté universitaire. Elle veut lancer des consultations au printemps.

Déjà, la démarche fait grincer des dents dans le milieu universitaire. Et pour cause.

Laisser le gouvernement, quel qu’il soit, se mêler de liberté universitaire, n’est-ce pas un peu laisser le loup entrer dans la bergerie ? Imaginez une loi-cadre qui tomberait dans les pattes d’un gouvernement populiste !

La ministre a raison de vouloir convoquer les parties prenantes pour qu’elles mettent en commun leurs réflexions, mais la responsabilité de trouver des solutions revient aux universités elles-mêmes, qui ont tous les outils en mains pour défendre la liberté d’enseignement des uns et la liberté d’expression de tous, professeurs et étudiants.

Mais ça demande un peu plus de leadership que ce qu’on a vu à l’Université d’Ottawa ! Il y a moyen de sévir quand la colère se transforme en harcèlement et en publication d’informations confidentielles sur les réseaux sociaux dans le but de ternir l’image d’une chargée de cours. Et les outils pour le faire sont déjà en place, que ce soit par les codes d’éthique des divers établissements ou les lois en vigueur à travers le pays.

Entendre toutes les parties

Les incidents rapportés récemment au Québec touchent surtout des interventions d’étudiants issus du mouvement de la gauche woke, qui combat le racisme systémique et appelle à la décolonisation, mais d’autres exemples à travers le monde touchent aussi les jeunes adhérant aux idées d’extrême droite et aux théories conspirationnistes.

Dans tous les cas, la liberté des uns doit s’arrêter où débute celle des autres, et c’est aux dirigeants des universités d’y veiller.

C’est aussi aux leaders des établissements d’enseignement supérieur de s’assurer que les points de vue de tous sont entendus en lançant des rencontres où les opinions se font face de manière respectueuse.

D’ailleurs, ces jours-ci, on aimerait entendre davantage les étudiants qui sont partie prenante de ces confrontations ainsi que les autres. On a pour le moment un seul côté de la médaille, celui des enseignants, et c’est bien dommage.

Relativisons !

Une bonne discussion interuniversitaire sur la question serait aussi une bonne occasion pour relativiser un peu. Car, bien que les dérapages qui ont été rapportés au cours des derniers mois fassent sourciller, il ne faut pas oublier que la liberté universitaire est mise à mal de manière beaucoup plus inquiétante aux quatre coins du monde. Chaque année, l’organisation Scholars at Risk recense des centaines de cas de professeurs et d’étudiants tués, emprisonnés ou poursuivis en justice pour leurs idées par des gouvernements autoritaires, des groupes armés ou de puissants intérêts économiques.

Ça ne rend pas ce qui se passe chez nous insignifiant, mais il n’y a pas péril en la demeure. Juste un besoin d’ouvrir un réel dialogue et de poser des balises claires.

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