Il faudrait avoir une saprée bonne raison pour justifier la tenue d’élections cet automne, au plus fort de la deuxième vague de la pandémie, un an après le plus récent scrutin.

Et bien franchement, au moment où on se parle, ce n’est pas le cas.

C’est pourquoi il faut se réjouir de la fin du bras de fer entre le gouvernement libéral et l’alliance de circonstance formée par les conservateurs et les bloquistes.

N’empêche, ce moment de théâtre commandité par la Chambre des communes était de trop. Les députés à Ottawa auraient tout avantage à en tirer des leçons.

Pensons-y : on est passé à un cheveu d’un scrutin hâtif parce que le gouvernement et l’opposition ne s’entendaient pas sur la formation d’un comité spécial !

Cette aberration, c’est d’abord les libéraux qui en sont responsables.

Ce sont eux qui ont transformé le vote au sujet d’une motion conservatrice – sur ce comité – en question de confiance à l’égard du travail du gouvernement.

Du bluff ? Fort possible. Mais Justin Trudeau était peut-être aussi en train de nous dire : « Just watch me ! »

Il affirme ne pas vouloir d’élections, mais il ne peut pas ignorer le fait qu’en pleine pandémie, bon nombre d’électeurs seront tentés de se ranger derrière le parti au pouvoir, celui qui gère déjà la crise.

Il sait aussi que plus le nouveau chef du Parti conservateur aura de temps pour se faire connaître, plus il pourrait devenir menaçant pour les libéraux. D’autant plus qu’Erin O’Toole est plus présentable que son prédécesseur, Andrew Scheer.

Cela dit, la responsabilité de ce ratage est partagée. Les conservateurs ne sont pas innocents. Si on n’a aucun reproche à leur faire sur l’esprit de leur motion, on doit reconnaître qu’elle ressemblait à un piège à ours. Elle était « assez toxique », comme l’a souligné le chef libéral.

Mettons les choses au clair : l’opposition a raison de vouloir continuer de se pencher sur le scandale WE Charity (Mouvement UNIS). D’autant plus que la prorogation fut une manœuvre déloyale pour couper court aux débats à ce sujet.

Il est également crucial de faire la lumière sur « plusieurs autres scandales et scandales possibles » quant aux « dépenses du gouvernement liées à l’intervention en réponse à la pandémie de COVID-19 », comme le soulignaient les conservateurs dans leur motion.

Notamment, de toute évidence, sur l’achat de respirateurs médicaux fabriqués par l’entreprise d’un ex-député libéral, tel que révélé par Le Journal de Montréal.

Mais tant le nom du comité spécial (sur l’anticorruption) que certaines dispositions de la motion des conservateurs n’allaient assurément pas être validés par les libéraux. Le piège était trop gros pour que Justin Trudeau s’enfarge dedans.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre, Justin Trudeau, et le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, mercredi à la Chambre des communes

Même le chef du NPD, Jagmeet Singh, a reconnu que l’idée d’enquêter sur la mère et le frère du premier ministre allait trop loin. Il y a une différence entre un examen consciencieux et une chasse aux sorcières.

Parlons-en, d’ailleurs, de Jagmeet Singh, puisqu’au final, c’est lui qui a permis au gouvernement de survivre. S’il a trop tardé avant d’annoncer ses couleurs, il s’est néanmoins comporté, tout comme la nouvelle cheffe du Parti vert Annamie Paul, en adulte.

Facile, direz-vous : le chef du NPD était celui qui avait le plus à perdre si des élections hâtives étaient déclenchées. C’est probablement vrai.

Par ailleurs, peut-on accuser le NPD, comme l’a fait le bloquiste Alain Therrien, d’être « le chien de poche des libéraux » ? Peut-être.

Mais le NPD peut néanmoins adopter cette attitude tout en préservant son intégrité, étant idéologiquement proche de l’incarnation actuelle du Parti libéral.

Enfin, Jagmeet Singh a le mérite d’avoir trouvé le mot juste pour qualifier ce à quoi nous venons d’assister. Une « farce ».

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