Il n’y a pas si longtemps, Erin O’Toole se décrivait comme un conservateur modéré qui s’inspire de la tradition progressiste des Brian Mulroney et Jean Charest.

On remonte à un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… et qui les surprendra peut-être.

Le très conservateur Parti conservateur du Canada s’est déjà dit « progressiste », oui, oui.

Difficile à imaginer après les années Harper et Scheer, mais à l’époque des Brian Mulroney et Jean Charest, le parti défendait un libéralisme assumé sur le plan social.

Cette époque semble révolue… mais peut-être pas tant que ça, finalement.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Erin O’Toole, chef du Parti conservateur du Canada

Si on a beaucoup parlé du flirt d’Erin O’Toole avec la droite morale et religieuse durant sa course au leadership, on a moins parlé du virage qu’il fait tranquillement prendre à son parti depuis qu’il le dirige.

Un virage qui rapproche la formation politique vers le centre, et qui rappelle, jusqu’à un certain point, le parti d’avant la fusion avec l’Alliance canadienne, en 2003.

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Pour bien saisir ce qui s’opère depuis quelques semaines, il faut comprendre qui est vraiment Erin O’Toole.

Et pour ce faire, il faut aller au-delà des positions tactiques qu’il a prises pendant la course à la direction pour en sortir vainqueur. Il faut, en fait, retourner à la course de 2017, alors qu’il se présentait comme le candidat « modéré ».

Le collègue Joël-Denis Bellavance avait fait son portrait à l’époque en détaillant ses positions progressistes, notamment.

Il défendait alors l’existence et l’utilité de Radio-Canada/CBC, contrairement à ses collègues.

Il était favorable à une intervention de l’État pour aider les jeunes à se trouver des emplois bien rémunérés.

Il avouait avoir voté pour l’accord constitutionnel de Charlottetown lors du référendum de 1992.

Il disait avoir « un point de vue qui se situe au centre du discours politique sur les enjeux sociaux, sur les enjeux économiques, ou encore la sécurité publique ».

Et il se décrivait surtout comme un conservateur modéré qui s’inspire de la tradition progressiste des Brian Mulroney et Jean Charest…

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On peut s’en surprendre après avoir entendu cet ancien militaire se présenter, ces derniers mois, comme le candidat « true blue », c’est-à-dire le vrai de vrai conservateur.

Mais sa victoire, avouons-le, montre que la stratégie était la bonne. Et si on se fie à ses gestes et discours depuis quelques semaines, on réalise que son penchant progressiste n’a pas disparu, au contraire.

D’abord, il y a la modération du discours, qui apaise après les hauts cris de son prédécesseur.

Ensuite, il y a l’ouverture à l’autre, qu’il soit « noir, blanc, brun ou de toute race ou croyance », comme il a dit dans son discours de victoire. Il y a l’attention accordée aux Premières Nations. Il y a ses positions favorables à l’immigration.

Il y a aussi son ouverture à un fédéralisme décentralisé et à une plus grande reconnaissance du Québec que Stephen Harper à son époque, selon certains spécialistes. Il se dit prêt à limiter le pouvoir de dépenser du fédéral, par exemple, et même à accroître le pouvoir de la province en immigration.

Il y a également ses positions fiscales interventionnistes, qui s’éloignent du sacro-saint déficit zéro. Il se dit prêt à intervenir pour juguler la crise en cours, alors que Harper avait initialement refusé de le faire lorsque la crise économique de 2008 a frappé.

Et il y a, surtout, ses positions morales claires, assumées et répétées sur tous les tons et toutes les tribunes. Il a beau vouloir laisser ses députés déposer les projets de loi qui leur font plaisir, le chef se déclare pro-choix sans ambages. Et favorable au mariage gai, aussi. Il promet même d’être le premier chef en titre du Parti conservateur à marcher au défilé de la Fierté gaie !

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Le retour du Parti progressiste-conservateur, donc ? Pas tout à fait.

Le contexte est bien différent de celui des années 1980-1990. Et la formation politique a bien changé depuis. Pensons seulement à la forte présence de l’Ouest dans le caucus et le membership, qui à elle seule empêche un virage véritablement progressiste.

Pas pour rien que la candidature de Jean Charest a vite rencontré un mur au début de l’année !

En témoignent d’ailleurs les positions d’Erin O’Toole sur les armes à feu. Son entêtement sur la taxe carbone. Ou encore, ses positions protectionnistes, alors que Brian Mulroney était un fervent partisan du libre-échange.

Mais il n’en reste pas moins qu’il a le conservatisme bien plus modéré que ses deux prédécesseurs. Le fait qu’il se soit engagé cette semaine à respecter les cibles de l’Accord de Paris, contrairement à Scheer, en est un bon indice.

Le Parti conservateur n’est donc pas devenu un parti de gauche, loin de là ! Mais il reprend enfin le chemin du centre droit, seule façon pour lui de reprendre le pouvoir à Ottawa.

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