Né en réponse aux violences policières endémiques qui dévastent les États-Unis, et qui viennent d’enflammer Kenosha, au Wisconsin, le mouvement « Defund the police » – ou « définancer la police » – a déjà incité une douzaine de villes américaines à sabrer dans les budgets de la police pour réallouer des fonds à des programmes sociaux.

On ne parle pas de n’importe quelles villes : New York, Seattle, San Francisco et Los Angeles font partie du lot. Depuis la mort de George Floyd, à Minneapolis, c’est un 1,4 milliard US qui a été transféré vers des organismes communautaires.

Le mouvement qui prône cette réallocation de fonds fait des vagues au Canada. À Montréal, une coalition regroupant une quarantaine d’organismes communautaires réclame que 50 % du budget du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) soit réinjecté dans des programmes communautaires.

Pas étonnant, dans ce contexte, qu’en voyant l’hypothèse de compressions dans la sécurité publique figurer tout en haut des « scénarios budgétaires » de l’administration Plante, le président de la Fraternité des policiers et des policières de Montréal, Yves Francœur, soit monté sur ses grands chevaux.

« Définancer » le SPVM, ça risque de couper les ailes de la police de quartier et de mettre en péril la sécurité des citoyens, plaide le syndicat dans un document défendant le budget actuel de la police de Montréal.

La réaction se comprend. La vague de désinvestissement qui s’abat sur les villes américaines n’est pas automatiquement exportable de ce côté-ci de la frontière.

Nous sommes loin la culture policière militarisée de nos voisins du Sud. Montréal n’est pas Minneapolis.

PHOTO JASON REDMOND, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

« Le mouvement Defund the police a déjà incité une douzaine de villes américaines à sabrer dans les budgets de la police », explique notre éditorialiste. Ci-dessus, manifestation à Seattle le 5 août dernier.

Dans le contexte américain, le « définancement » tient un peu d’un geste punitif, d’un traitement de choc infligé à la hâte à des corps policiers profondément malades. Montréal n’en est pas là !

Cela dit, le mouvement Defund the police ouvre un débat pertinent, y compris chez nous. Après tout, nous ne sommes pas à l’abri des violences policières, loin de là.

Depuis le printemps, huit Autochtones ont été tués dans des interventions policières au Canada.

D’année en année, Noirs et Autochtones représentent un nombre disproportionné de victimes de bavures policières qui surviennent souvent en situation de détresse psychologique. À Montréal, il y a eu Alain Magloire, Pierre Coriolan, Nicholas Gibbs…

Pour prévenir ces dérapages tragiques, il y a la manière traditionnelle : on essaie de réformer les forces de l’ordre. En équipant les policiers de caméras corporelles, en ajoutant des intervenants en santé mentale ou des médiateurs culturels. Mais pour ça, il faut investir, pas dégraisser.

Le mouvement Defund the police, lui, propose une autre approche. Agir en amont. Prévenir avant de réprimer.

Même si les propositions budgétaires qu’il met de l’avant paraissent extrêmes, les questions que le mouvement pose restent pertinentes. Jusqu’où va la mission d’un corps policier ? Des agents armés sont-ils les plus aptes à intervenir face à des personnes en crise ?

Notons que le mouvement n’est pas uniforme. Si ses franges radicales prônent carrément l’abolition des corps policiers, ce qui domine, c’est plutôt un appel à une meilleure répartition des fonds publics. Un exemple de ce que ça peut donner : à Eugene, en Oregon, la Ville a puisé dans les budgets de la police pour créer une ligne d’urgence psychosociale, un numéro 311 où les répondants ne sont pas des policiers, mais des intervenants sociaux.

Dans sa version la plus soft, ce courant de réallocation de fonds a déjà fait son entrée au Canada. La Ville d’Edmonton vient de sabrer 11 millions dans le service de police pour le réinvestir en logements pour sans-abri…

Malgré ses excès, Defund the police lance un débat légitime sur les limites de l’approche répressive et de l’action policière. Il n’est ni farfelu ni radical de poursuivre cette réflexion.

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