Il y a une semaine, le ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne a pris la peine d’applaudir l’accord que venaient de conclure Israël et les Émirats arabes unis.

Avec raison. C’est une entente historique, la première à avoir été signée depuis la réconciliation entre l’État hébreu et la Jordanie, il y a plus d’un quart de siècle.

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Le ministre des Affaires étrangères du Canada, François-Philippe Champagne

Bien sûr, dans les faits, cet accord ne fait qu’officialiser des liens qui s’étaient déjà tissés dans les coulisses. Il semble aussi que l’entente en cache une autre, concernant un contrat de vente d’avions militaires par Washington à Abou Dabi. Enfin, l’évènement ne peut être détaché du contexte électoral aux États-Unis, alors qu’un président en perte de vitesse a désespérément besoin de succès diplomatiques pour redorer son blason.

Malgré ces bémols, on est devant une percée historique : 72 ans après la fondation de l’État hébreu, un troisième pays vient de reconnaître officiellement son existence. Ça mérite une bonne main d’applaudissements.

Là où on suit moins bien le ministre Champagne, c’est lorsqu’il « salue la décision d’Israël de suspendre l’annexion de certaines parties de la Cisjordanie », changement de cap associé à l’accord avec Abou Dabi.

Le premier ministre Benyamin Nétanyahou avait fixé la date butoir de ce projet au 1er juillet 2020. Il s’agit, pour l’État hébreu, d’annexer de grands pans des territoires occupés illégalement par des colons israéliens – intégration territoriale contraire aux lois internationales et qui ne laisserait aux Palestiniens que des bantoustans non viables.

Rejeté par la vaste majorité des États de la planète, ce projet de confiscation territoriale a incité des États européens traditionnellement amis d’Israël à évoquer, pour la première fois, l’idée de lui imposer des sanctions.

Pendant ce temps, à Ottawa, c’était le silence radio. Il a fallu qu’une cinquantaine d’anciens ministres et diplomates canadiens appellent Justin Trudeau à mettre son poing sur la table pour que ce dernier critique, début juin, le projet d’annexion, et réitère son appui à la solution des deux États au Proche-Orient.

À la veille de la date butoir, le projet de Nétanyahou avait déjà pas mal de plomb dans l’aile. Les conseillers de Donald Trump craignaient que l’annexion ne lui fasse perdre des voix précieuses au sein d’une communauté juive de plus en plus critique face aux politiques de la droite israélienne.

L’accord avec les Émirats arabes unis a permis à tout ce beau monde de transformer un boulet en monnaie d’échange diplomatique. Et tant pis pour les Palestiniens, totalement oubliés dans l’opération.

Franchement, il n’y a pas là matière à félicitations. D’autant plus que Nétanyahou n’a jamais abandonné son projet d’annexion. Il n’a fait que le suspendre, jusqu’à des jours plus favorables. Depuis quand félicite-t-on un agresseur pour avoir remis son agression à plus tard ?

Récemment, le ministre Champagne a dénoncé avec force le président biélorusse Alexandre Loukachenko qui semble prêt à tout pour s’accrocher au pouvoir, après des élections aux résultats frauduleux. Ottawa n’a jamais manqué, non plus, de protester haut et fort contre l’annexion de la Crimée par Moscou.

Face à Israël, c’est un tout autre discours. Les critiques manquent singulièrement de vigueur.

Même si la menace de l’annexion est temporairement levée, il est temps de revoir le positionnement d’Ottawa face aux dirigeants actuels d’Israël. On n’a pas besoin d’attendre que le projet d’annexion soit remis en marche. Les politiques d’occupation existantes justifient amplement un durcissement de ton.

Le cas échéant, le Canada ne serait pas seul. Dans les communautés juives américaines, de plus en plus de voix s’élèvent contre l’occupation des territoires palestiniens. Ça inclut des députés et des sénateurs démocrates, dont certains vont jusqu’à demander que l’aide militaire accordée par Washington à Israël, qui frôle les 4 milliards de dollars par an, soit conditionnelle à un assouplissement des politiques israéliennes.

Le virage est majeur. Et qui sait, en durcissant le ton, Ottawa irait peut-être dans le sens où souffle le vent de l’Histoire.

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