Le jugement est clair, net et précis. L’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs, qui permet au Canada de renvoyer vers son voisin du Sud les demandeurs d’asile ayant transité par les États-Unis, est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et doit donc être considérée comme invalide. Point à la ligne.

Ce que dit en gros la Cour fédérale, c’est qu’une entente bilatérale sur un tiers pays sûr implique qu’il y ait… deux pays sûrs. Or, les États-Unis de Donald Trump ne peuvent pas être considérés comme un pays sûr pour les réfugiés. Les demandeurs d’asile y sont souvent privés d’accès à un avocat et détenus dans des conditions inhumaines.

La juge Ann Marie McDonald donne six mois à Ottawa pour s’ajuster et mettre fin à cette entente signée en 2002 entre George W. Bush et Jean Chrétien.

Mais rien n’oblige le gouvernement Trudeau à attendre jusque-là. Il pourrait cesser dès maintenant de renvoyer vers les États-Unis les demandeurs qui se présentent à un poste frontalier terrestre. Ottawa pourrait aussi, dès maintenant, annoncer son intention de ne pas contester cette décision en Cour d’appel, économisant ainsi du temps et des frais.

Le principal impact d’un tel virage serait de détourner les revendicateurs de statut de réfugié des routes clandestines pour les diriger vers des points d’entrée réguliers. Ce serait la fin de la filière Roxham.

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Et Donald Trump dans tout ça ? Ne doit-on pas craindre des turbulences diplomatiques ?

Peut-être pas. Car il faut se rappeler que si, en principe, l’Entente sur les tiers pays sûrs est mutuelle – elle permet au Canada de renvoyer des demandeurs d’asile vers les États-Unis et inversement –, en pratique, les migrants voulant quitter le Canada pour faire une demande d’asile aux États-Unis sont rarissimes. La route de l’asile fonctionne, ici, à sens unique.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« Le Canada pourrait cesser dès maintenant de renvoyer vers les États-Unis les demandeurs qui se présentent à un poste frontalier terrestre », explique Agnès Gruda.

C’est le Canada qui a d’ailleurs longtemps tenté de convaincre son voisin américain de signer un tel accord, qui permettait à Ottawa de réduire la pression sur sa frontière terrestre.

Les négociations s’étaient amorcées entre Jean Chrétien et Bill Clinton. Longtemps, Washington était réticent. Les attentats du 11 septembre 2001 ont poussé George W. Bush à vouloir instaurer de meilleurs contrôles frontaliers. Et c’est dans ce contexte que l’Entente sur les tiers pays sûrs a finalement pu être conclue.

L’accord était problématique dès son entrée en vigueur, en 2004. Déjà en 2008, la Cour fédérale du Canada avait remis en question la qualification des États-Unis comme « tiers pays sûr ». Ce jugement a été défait en appel.

Puis il y a eu Donald Trump avec ses discours haineux, ses politiques odieuses à l’endroit des migrants d’Amérique centrale et ses prisons pour mineurs où les enfants n’avaient même pas un bout de savon pour se laver. Politiques qui ont d’ailleurs poussé de nombreux migrants à fuir les États-Unis pour se réfugier au Canada. En utilisant des passages irréguliers, les seuls qui leur étaient accessibles.

Devant cet étalage d’injustices, Ottawa aurait pu suspendre temporairement l’application de l’accord. Le gouvernement Trudeau ne s’est pas résolu à ce geste qui aurait pu être perçu comme une gifle par notre irascible voisin.

Mais si le Canada se plie au jugement d’un tribunal, s’il ne s’agit pas d’une rebuffade politique, Donald Trump pourrait être content de se débarrasser d’un accord dont Washington n’a jamais vraiment voulu.

Notons que le prochain président des États-Unis – et ce ne sera peut-être pas Donald Trump – doit entrer en fonction le 20 janvier 2021. Deux jours avant l’expiration du délai que la Cour fédérale accorde à Ottawa pour ajuster ses flûtes et respecter son jugement.

Le gouvernement Trudeau aurait tort de miser là-dessus dans l’espoir de restaurer l’Entente sur les tiers pays sûrs sous un ciel politique plus favorable. Car ce que le jugement de la Cour fédérale montre clairement, c’est que les politiques d’asile américaines sont d’une grande fragilité et peuvent fluctuer vers l’horreur dès que le vent politique souffle dans la mauvaise direction. Mieux vaut tirer notre révérence.

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