Regardez la carte électorale. Pour le Parti libéral du Québec (PLQ) et sa nouvelle chef, Dominique Anglade, c’est une image qui vaut mille maux. Les libéraux n’ont aucun député à l’est de Montréal. Et aucun en région, à l’exception d’André Fortin à Pontiac, où 40 % des électeurs sont anglophones.

Voilà le parti dont Mme Anglade prend les commandes à la suite du désistement lundi du seul autre candidat à la course à la direction, Alexandre Cusson. Dire que le plus dur est à venir relève de l’euphémisme.

INFOGRAPHIE ARCHIVES LA PRESSE

La carte électorale au lendemain des élections
du 1er octobre 2018. À la suite des démissions de Philippe Couillard (Roberval) et de Sébastien Proulx (Jean-Talon), les libéraux ont perdu leurs deux sièges à l'est de Montréal. Quant à la circonscription de Gaspé, elle a été remportée par le Parti québécois après un recomptage.

Ce couronnement n’est pas une bonne nouvelle. Ni pour Mme Anglade ni pour le parti. Elle perd une tribune pour se faire connaître et tester ses idées.

La seule consolation, c’est qu’il aurait été difficile de lancer aujourd’hui des idées qui seront encore pertinentes pour la prochaine campagne électorale. Car on ne sait pas encore très bien à quoi ressemblera le Québec à l’automne 2022.

Les libéraux n’ont pas fini d’encaisser la dernière raclée électorale. Ils étaient déjà usés par le pouvoir. Par les scandales éthiques du gouvernement Charest et les compressions du gouvernement Couillard.

À cela se sont ajoutés deux chocs.

Le rival des libéraux a changé. Brandir l’épouvantail du référendum devenait inutile contre un nouvel adversaire fédéraliste, la Coalition avenir Québec (CAQ). Son chef, François Legault, occupe à la fois le terrain du nationalisme et celui du développement économique. Une recette qui a longtemps assuré la domination de l’Union nationale.

L’électorat libéral aussi a évolué. Dans les dernières décennies, les libéraux faisaient le plein de votes chez les gens plus âgés. Cette tendance s’est inversée. Les baby-boomers ont délaissé le PLQ à cause de l’identité et aussi des ratés en santé. Tandis que les 18-34 ans y sont proportionnellement plus nombreux que jamais. Bref, ce qui rebute les plus vieux semble attirer les plus jeunes. On l’a vu au congrès de l’aile jeunesse libérale l’été dernier où le multiculturalisme comptait ses partisans.

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L’ex-ministre du Développement économique devient la première femme chef du PLQ et aussi la première issue d’une minorité visible. Elle brise ainsi deux plafonds de verre.

Il y a quelques mois, des organisateurs libéraux s’étaient inquiétés, sous le couvert de l’anonymat, que Mme Anglade soit impopulaire en région. Le sous-entendu : ils ne voteront pas pour une femme noire de Montréal. C’était insultant pour les régions, présumées intolérantes. Et on sait maintenant aussi que c’était faux, comme le prouvent les nombreux appuis de Mme Anglade parmi les libéraux en région.

L’identité est le seul enjeu assez prévisible de la prochaine campagne électorale. On sait que l’interdiction du port de signes religieux est contestée en cour et que la protection de la clause dérogatoire tombera en 2023. Lors de la prochaine campagne électorale, les partis devront dire s’ils la renouvelleraient.

Tout indique que la réponse de Mme Anglade respectera les principes du parti : ce sera non. Reste à voir à quel point ce sujet sera une priorité pour les Québécois.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Dominique Anglade

Et il est encore plus difficile de savoir à quoi ressembleront les débats à venir sur l’économie, les programmes sociaux et l’environnement. La fin de la course à la direction permettra à Mme Anglade d’y réfléchir encore avant de s’engager.

Le contexte est parfois aussi déterminant que les valeurs. En 2014, les trois principaux partis proposaient le retour rapide à l’équilibre budgétaire avec les inévitables compressions que cela impliquait. En 2018, l’heure était à la prodigalité. Où en serons-nous en 2022 ? Pour l’instant, la pandémie sonne le retour de l’État-providence, mais les déficits et le vieillissement de la population forceront les partis à faire des choix difficiles. Comment financer les missions sociales ? Comment faire mieux qu’aujourd’hui, avec des finances publiques en moins bon état ?

Quant à l’environnement, François Legault a admis peu après son élection que le dossier était le point faible de son parti. Il a promis de faire de 2020 une année verte. Difficile d’anticiper ce qui en restera après la crise. Certes, l’électrification des transports sera au cœur de la relance économique, mais qu’en sera-t-il des autres dossiers environnementaux ?

Les libéraux peuvent se consoler en se disant qu’il sera plus facile de se réinventer dans un Québec qui est lui-même en train de se définir.

L’enjeu pour les libéraux : réconcilier leurs militants plus jeunes avec les plus vieux, et ceux de Montréal avec le reste du Québec.

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