« L’employeur, dans le domaine de la santé, ce n’est pas une personne, c’est personne. »

La phrase est tirée du reportage que nos collègues ont publié, samedi, sur le « mastodonte bureaucratique » qu’est devenu le réseau québécois de la santé et des services sociaux.

Elle en dit long sur les failles qui ont été exacerbées par l’épidémie actuelle et qui ont compliqué notre réponse à la vague de contagion.

La main droite qui ne sait pas ce que fait la main gauche. La tête qui n’a aucune idée de ce qui se passe au sol, là où sont posés les pieds. L’information qui ne circule pas. Et des employés qui s’arrachent les cheveux pour un geste aussi simple que trouver des poubelles.

Ce chaos administratif découle, du moins en partie, de la réforme imposée en 2015 par l’ex-ministre de la Santé et toujours député libéral Gaétan Barrette. 

Converti en commentateur dont le compte Twitter jouit d’une belle audience, M. Barrette devrait se garder une petite gêne quand il sème ses opinions et décrète ce qu’il aurait fait s’il était toujours ministre de la Santé.

Ce poste, il l’a occupé de 2014 à 2018. Et son bilan est catastrophique.

Plusieurs intervenants du réseau nous ont confirmé que les cafouillages observés depuis deux mois sont liés à l’hypercentralisation, à l’hyperhiérarchisation et aux compressions induites par sa réforme de 2015. Cette réforme n’explique pas tout. Mais elle n’a vraiment pas aidé…

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« Il faut dompter la bête bureaucratique », juge Agnès Gruda.

Rappelons qu’il y a cinq ans, un vent de changement s’est abattu sur le réseau de la santé et des services sociaux. La réforme a réduit le nombre d’établissements de 192 à 34. Elle a entraîné le départ d’au moins 2000 gestionnaires, ce qui devait générer des économies de 220 millions par an.

Hôpitaux, CHSLD, CLSC, centres jeunesse ont tous atterri sous le parapluie des CIUSSS et des CISSS, les nouveaux pivots du système. Les CHSLD ont été dépouillés de leurs directions et de leurs conseils d’administration propres. Et sont tombés sous la gouverne de supergestionnaires supervisant trop d’institutions dans de trop larges territoires.

Résultat : des employés qui ne savent pas vraiment qui est leur patron ni comment le joindre, résume Carole Trempe, directrice de l’Association des cadres supérieurs de la Santé et des Services sociaux.

L’avis est unanime : les chefs sont trop loin du terrain. Et les professionnels de la santé, tout comme les usagers, ont été noyés dans des organisations qui n’ont de comptes à rendre qu’à Québec.

Ajoutez à ça les coupes de 30 % que l’ex-ministre Barrette a imposées à la Santé publique. Et enfin, la cerise sur le gâteau : l’abolition du poste de Commissaire à la santé et au bien-être, qui posait un regard indépendant sur le fonctionnement du système. Poste qui a été rétabli depuis, fort heureusement.

Les effets pervers de la réforme Barrette sont bien connus. L’épidémie de COVID-19 a projeté une lumière crue sur leurs conséquences potentielles. Mais une fois qu’on a dit ça, on fait quoi ?

Le gouvernement de la CAQ a déjà exclu de rebrasser les structures de la santé. Avec raison. Le Québec s’inflige une de ces réformes chaque décennie. Il y a eu la réforme du début des années 90, menée pour rapprocher le réseau des usagers. Celle du début des années 2000, qui a amorcé un mouvement centralisateur. Puis celle de 2015, qui a poussé la centralisation à son paroxysme.

Peu importe leurs mérites, ces réformes sont difficiles à digérer. Mieux vaut éviter de se lancer dans une nouvelle opération de grands chambardements, cinq ans à peine après la dernière.

Par contre, s’il y a une leçon à tirer de la crise actuelle, c’est que le système doit à tout prix être amélioré. Qu’il faut dompter la bête bureaucratique.

Peut-on, sans tout bousculer, redonner une direction à chaque établissement, quitte à embaucher de nouveaux gestionnaires ? Peut-on donner plus d’autonomie à ceux qui travaillent sur le plancher des vaches et savent ce qui s’y passe ? Trouver des mécanismes pour les consulter ? Rapprocher les établissements des communautés qu’elles desservent ?

Une fois que l’urgence sera passée, ces questions deviendront incontournables.

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