Combattre un seul ennemi commun, le virus, et faire taire les armes. Depuis une semaine, voilà la requête – aussi louable que raisonnable – du secrétaire général des Nations unies, António Guterres. Malheureusement, le message ne voyage pas facilement vers toutes les lignes de front.

Quatre jours avant que le chef de l’ONU lance son appel au cessez-le-feu mondial, le groupe armé État islamique a invité ses adeptes partout dans le monde à faire tout le contraire.

Disant que la COVID-19 « paralyse les croisés occidentaux », les dirigeants de l’organisation terroriste islamiste, qui existe toujours malgré sa défaite militaire en Syrie l’an dernier, enjoint à ses soldats de l’ombre de profiter du désordre lié à la COVID-19 pour en semer davantage. En d’autres mots, pas de confinement pour les barbares.

Les actions ne se sont pas fait attendre. Le 31 mars, des centaines de combattants de l’État islamique, détenus par les forces kurdes dans le nord de la Syrie, ont organisé des émeutes dans le but de s’échapper de prison. La tentative a échoué de justesse. Les forces kurdes, qui disaient déjà avant la pandémie qu’elles en avaient plein les bras, craignent des récidives. Une réussite aurait des effets dévastateurs sur tout le Moyen-Orient.

PHOTO NOEL CELIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des policiers arrêtent un homme soupçonné de trafic de drogue, près de Manille. Le président des Philippines Rodrigo Duterte a ordonné cette semaine aux policiers et aux militaires d’abattre tous ceux qui troublent la paix, dénonce notre éditorialiste.

Malheureusement, plusieurs pays qui ont des troupes dans la région sont en train de retirer des soldats à cause de l’épidémie. Les dirigeants du groupe État islamique doivent remercier le ciel… et le virus.

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Le groupe djihadiste n’est pas le seul à voir dans la pandémie une belle occasion pour s’arroger plus de pouvoir. Après tout, le monde a l’esprit ailleurs et la plupart des pays se ferment sur eux-mêmes pour endiguer la COVID-19 à l’intérieur de leurs frontières.

Aux Philippines, le président Rodrigo Duterte, critiqué depuis son élection en 2016 pour sa lutte meurtrière contre ceux qu’il accuse de consommer ou de vendre de la drogue, n’a rien perdu de ses instincts guerriers.

Cette semaine, après que des habitants d’un bidonville eurent manifesté parce qu’ils manquent de nourriture en ces temps de confinement, le président philippin a ordonné aux policiers et aux militaires « d’abattre » tous ceux qui troublent la paix, ou en d’autres termes, tous ceux qui lui tiennent tête. Les réactions internationales ? Silence sur la ligne.

En Hongrie, le président Viktor Orbán s’est donné le pouvoir de gouverner par décret, sans se soucier du parlement, jusqu’à la fin de la pandémie. Plusieurs observateurs estiment qu’il utilise la crise pour limiter, voire tuer, la démocratie hongroise, qu’il avait dans sa mire depuis longtemps. L’Union européenne réagit à peine.

La pandémie fait aussi passer sous silence nombre de violations graves des droits de la personne à travers le monde.

Par exemple, selon un décompte d’Amnistie internationale, au moins six figures d’opposition et militants pour la justice sociale ont été assassinés en Colombie en moins d’une semaine alors que la protection qui leur est habituellement accordée par l’État leur a été retirée au nom de la pandémie. Quand les souris sont confinées à la maison, les chats qui rôdent savent exactement où les trouver. Et ce constat est vrai pour plusieurs pays où les gangs criminalisés et les cartels ont plus de liberté alors que les autorités consacrent toutes leurs énergies à contenir le virus.

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Il est fort compréhensible que notre attention soit tournée vers la situation sanitaire actuelle. C’est du jamais vu dans l’histoire contemporaine. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de baisser la garde par rapport à toutes les autres menaces.

Samedi dernier, mon collègue François Cardinal a rappelé dans ces pages l’importance de la solidarité internationale pour venir à bout de la pandémie. Un message qu’a aussi martelé Justin Trudeau lors de la dernière réunion virtuelle du G7.

Cette même solidarité doit aussi s’exprimer face aux autres ennemis de l’humanité : le terrorisme, les conflits armés, les violations graves des droits de la personne et les attaques contre les États les plus fragilisés du monde. La communauté internationale doit garder l’œil ouvert, continuer à financer les efforts humanitaires et les opérations de sécurité dans les nombreuses zones à risque. Si l’on ne veut pas se brûler les doigts davantage, on n’a malheureusement pas le choix de combattre plusieurs feux en même temps.

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