À la suite du désistement du mégainvestisseur Warren Buffett, le projet GNL Québec à Saguenay n’est pas mort, mais il est moins fort.

Or, ce n’est probablement pas tout à fait pour les raisons que l’on croit. Même s’ils ont sûrement nui, les récents blocages ferroviaires des Premières Nations ont le dos large.

Le projet GNL Québec s’élève à 14 milliards. Il prévoit le prolongement d’un gazoduc pour acheminer le gaz de l’Ouest à Saguenay, et la construction d’une usine et d’un terminal méthanier pour le liquéfier et l’exporter par bateau.

Jeudi, La Presse a révélé que Berkshire Hathaway, le fonds de Warren Buffett, renonçait à y investir jusqu’à 4 milliards. C’est un énorme trou dans le financement.

Pourquoi ? Le fonds ne s’est pas expliqué. On n’a que la version de GNL, qui soutient que le retrait de M. Buffett était motivé par « les blocus autochtones et le contexte politique général au Canada ».

Depuis, chacun interprète l’oracle à sa façon.

À entendre les écologistes, cela prouverait que les grands fonds se retirent des énergies fossiles. Vrai, les fonds Rockefeller et BlackRock délaissent ce secteur. Or, M. Buffett constitue le contre-exemple. Selon Bloomberg, il détient la troisième fortune pétrolière du monde, tout juste après la famille Koch et la famille royale saoudienne. L’année dernière, il a injecté 10 milliards pour acheter la pétrolière américaine Anadarko. C’était, de son propre aveu, un pari sur le prix du baril. En d’autres mots : M. Buffett pense que l’humanité n’en fera pas assez pour freiner le réchauffement climatique et il veut en profiter pour ajouter à ses milliards.

Alors pourquoi Berkshire Hathaway, qui disposait à la fin 2019 de plus de 128 milliards à investir, retire-t-il ses billes de GNL Québec ?

À entendre les partisans de l’industrie, ce serait à cause des réglementations environnementales et de la résistance des écologistes et des Premières Nations. 

Derrière ce discours se cache l’idée voulant que tout projet gazier soit a priori rentable. C’est faux.

Les marchés sont difficiles à prévoir. Un exemple : en 2008, le projet de port méthanier Rabaska était conçu pour… importer du gaz naturel ! C’est maintenant le contraire. Dans la dernière décennie, la production de gaz en Amérique du Nord a explosé. Les États-Unis n’ayant presque plus besoin de notre gaz, il faut l’exporter.

Un projet comme GNL exige de s’entendre à long terme avec des acheteurs. Or, le marché n’y est pas favorable. Bien sûr, la demande mondiale devrait augmenter au cours de la décennie. Il est toutefois difficile de prévoir l’évolution des prix – par exemple, on ignore à quel point la Chine délaissera le charbon (ce qui hausserait la demande en gaz) ou se lancera dans la production du gaz (ce qui nuira aux exportateurs canadiens).

Pendant ce temps, le prix sur les marchés à court terme (spot) est assez faible. Les acheteurs ne sont donc pas pressés de s’engager avec des contrats à long terme.

Ce contexte explique pourquoi la majorité des récents projets gaziers en Alberta et en Colombie-Britannique ont fini par être abandonnés, rappelle Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de l’énergie de HEC Montréal.

Cela dit, cette incertitude existait l’année dernière quand Berkshire Hathaway misait encore sur le projet. Alors qu’est-ce qui a changé ?

Les conservateurs prétendent que l’évaluation renforcée par le gouvernement Trudeau (projet de loi C-69) complique les projets. Ils oublient toutefois que GNL Saguenay et l’oléoduc Trans Mountain ont été déposés sous le gouvernement Harper, et sont donc étudiés en fonction de la réglementation conservatrice.

Il faut donc chercher ailleurs.

Il est probable que l’opposition des écologistes et les blocages ferroviaires ont été les gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase.

Le gazoduc de GNL traverserait 27 communautés autochtones (algonquines, attikameks et innues). Des ententes avec elles seront requises. Même chose pour l’usine de liquéfaction et le port, qui auront un impact sur les Innus et les Hurons-Wendats. Reste qu’il serait injuste d’accuser ces Premières Nations avant même de les avoir entendues. Le promoteur a entamé un dialogue de bonne foi avec elles et rien n’indique qu’il achoppera.

Dans les prochaines semaines, le projet sera examiné par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Le fédéral évaluera aussi bientôt les impacts maritimes.

Le gouvernement Legault devra ensuite se demander si le projet est compatible avec ses cibles de réduction de gaz à effet de serre et s’il fait l’objet d’une acceptabilité sociale.

Ce critère peut paraître arbitraire. En effet, il n’existe pas de façon objective de mesurer l’adhésion de la population. Mais en cette ère de crise climatique, Québec n’a pas le choix.

Si toutes ces étapes sont franchies, le promoteur pourra plus facilement attirer un investisseur aux poches profondes avant son échéancier de la fin 2021. Mais pour l’instant, c’est un gros « si ». GNL Québec fait face à des vents contraires.

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