Le plus récent rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) pose un diagnostic implacable sur l’état des services de protection de la jeunesse.

On peut pratiquement le résumer en un seul paragraphe : 

« C’est tout croche. On sait depuis longtemps que c’est tout croche. On sait pourquoi c’est tout croche. Mais on n’agit pas pour corriger ce qui est tout croche. »

À ce résumé, ajoutons le fait que la réforme du système de santé de 2015 a jeté de l’huile sur le feu, alors qu’à Québec on jurait qu’elle allait éteindre les feux.

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C’est d’ailleurs le principal prétexte de ce nouveau rapport de la CDPDJ. Les auteurs ont dit vouloir « analyser les répercussions de la réforme » sur les services offerts.

Trois angles ont été explorés : le soutien déficient aux intervenants, les délais dans l’accès aux services et la collaboration entre les divers acteurs qui doivent protéger nos enfants.

Chacune de ces pistes a mené les auteurs à une conclusion frustrante. Non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais souvent, elle s’est envenimée.

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Prenons par exemple le soutien aux intervenants. Même avec la meilleure volonté du monde, leur capacité de répondre aux besoins des enfants et des familles était déjà déficiente avant la réforme du système de santé. Or, depuis, le roulement de personnel se serait accentué.

« Tout le monde est à bout de souffle et le climat de travail se détériore. Les jeunes sont désabusés et les seniors ne rêvent que de leur retraite », a déclaré un intervenant, sondé dans le cadre de cette enquête.

« La réforme est un désastre, nous sommes complètement débordés, nous ne passons pas suffisamment de temps avec la clientèle, nous craignons pour la sécurité des enfants », a affirmé un autre intervenant.

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« À ce résumé, ajoutons le fait que la réforme du système de santé de 2015 a jeté de l’huile sur le feu », précise Alexandre Sirois.

Comme ailleurs dans le réseau de la santé, les gestionnaires ont mis l’accent ces dernières années sur le rendement des intervenants. C’est la tristement célèbre approche industrielle dite « de type LEAN ». Résultat : une impression tenace que « la quantité prime sur la qualité ».

Des intervenants doivent atteindre « les objectifs de rendement qui leur sont imposés », même si cela signifie qu’ils ne répondront pas autant aux besoins des enfants, constate la CDPDJ.

Tout cela s’ajoute aux problèmes de formation, d’expertise et d’accompagnement du personnel mis en lumière par le rapport.

Un gâchis ? Sans l’ombre d’un doute. D’autant plus que la situation est en train de poser de sérieux problèmes en termes de recrutement et de rétention du personnel dans un réseau qui ne suffit déjà pas à la demande !

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Parlons-en, justement, de la demande. Et des délais, aussi. Il y a à ce sujet dans le rapport de nombreuses statistiques à faire dresser les cheveux sur la tête. Contentons-nous de citer ici le fait que le nombre de dossiers en attente d’évaluation a augmenté de 27,7 % entre 2012-2015 et 2015-2018. Pourtant, au cours de la même période, le nombre de signalements retenus n’a augmenté que de 9,9 %. 

Quelque chose ne tourne pas rond et la CDPDJ a facilement mis le doigt dessus. « Les ressources humaines disponibles n’étaient pas suffisantes pour traiter les signalements retenus », lit-on. L’intérêt supérieur de l’enfant dans tout cela ? Visiblement, ce n’est pas toujours la priorité du réseau.

Enfin, vous ne serez pas surpris d’apprendre que la collaboration entre les divers services offerts aux enfants ne s’est pas bonifiée comme par magie après l’implantation de la réforme de la santé en 2015. On ne s’est visiblement pas assez soucié, à Québec, de mettre en place des mécanismes pour une meilleure collaboration, jumelés à une « instance de suivi ». Si bien que le résultat, sur ce plan, est un échec.

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Tous ces constats sont impitoyables et ils ressemblent hélas à s’y méprendre à ceux qui ont déjà été faits par la CDPDJ ces dernières années en matière de protection de la jeunesse.

Inutile de rappeler à leurs dirigeants que c’est franchement déprimant ; ils le savent.

Ceci étant dit, cette fois, il y a au moins une bonne raison d’espérer que ce rapport ne reste pas lettre morte. Il apporte de l’eau au moulin de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, menée par Régine Laurent.

Si Québec décidait de faire la sourde oreille aux recommandations de cette commission – dont le rapport final sera publié cette année –, ce serait d’autant plus gênant. Le statu quo est intenable.

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