Il n’est pas facile d’obtenir des statistiques sur les avortements tardifs au Québec, soit ceux qui sont pratiqués après 24 semaines de grossesse. En posant la question au ministère de la Santé et des Services sociaux, on se fait répondre que 0,1 % des avortements au Québec ont lieu dans le troisième trimestre de grossesse. Pas plus de précisions. Pas de variation dans cette statistique d’une année à l’autre.

Ce petit chiffre à lui tout seul en dit long sur les avortements tardifs. Premièrement, ils sont très rares. En 2018, si on se base sur le fait qu’il y a eu 26 843 avortements remboursés par la Régie de l’assurance maladie du Québec, on peut conclure que seulement 26 ont eu lieu au troisième trimestre.

La statistique floue du Ministère nous permet aussi de faire un autre constat : la question est taboue dans notre système de santé.

Un article de notre collègue Gabrielle Duchaine publié la semaine dernière nous apprend que les médecins du Québec qui acceptent de pratiquer ces avortements tardifs sont « stigmatisés » par leurs pairs, voire « ostracisés ». Et que l’accès à ces services « désorganisés » est « discriminatoire ».

Au cours des dernières années, le gouvernement du Québec a décidé de régler le problème d’accès aux soins en envoyant de 10 à 25 femmes chaque année obtenir cet avortement aux États-Unis, dans un des deux États où ce genre d’interruption de grossesse est permis. Ça s’appelle pelleter le problème dans la cour du voisin.

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Pourtant, ça fait 32 ans que les femmes canadiennes ont le droit d’obtenir un avortement tout au long de leur grossesse. Le Canada est d’ailleurs le seul pays du monde occidental à ne restreindre d’aucune manière le droit à l’avortement sur le plan légal. Les deux autres pays les plus permissifs sont les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Dans les deux cas, l’avortement est restreint après 22 semaines de grossesse.

Chez nous, le droit à l’avortement découle de deux décisions de la Cour suprême. La première – qui porte le nom de l’arrêt Morgentaler en référence au médecin montréalais – a décriminalisé l’avortement en 1988. La seconde, rendue un an plus tard dans l’affaire qui opposait la Québécoise Chantal Daigle à son ex-conjoint Jean-Guy Tremblay, reconnaissait le droit exclusif à la femme de décider de l’issue de sa grossesse. Les droits de l’enfant commencent au jour de la naissance.

Trois décennies plus tard, il est donc étonnant que des procédures claires ne soient pas encore en place au Québec pour encadrer cette question délicate. C’est plutôt le secret qui prime. À cause du tabou et des menaces émanant de groupes s’opposant au libre choix à l’avortement, on garde secret le nom des hôpitaux, des cliniques et des médecins qui pratiquent ces avortements tardifs.

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Le temps est donc venu de regarder le problème en face et de trouver de véritables solutions à long terme. Et les planètes semblent alignées pour que ça se produise. 

D’abord, parce qu’avec la montée de la droite populiste aux États-Unis, le droit à l’avortement est sous pression dans le pays de l’Oncle Sam et qu’il ne sera peut-être pas possible de sous-traiter ces soins ad vitam aeternam. Et aussi parce qu’au sein du gouvernement Lagault, que ce soit le premier ministre lui-même ou la ministre de la Santé, Danielle McCann, on veut que les services d’avortements tardifs soient offerts au Québec.

Le gouvernement a dit la semaine dernière être ouvert à la principale recommandation du rapport confidentiel du Collège des médecins obtenu par La Presse : créer une unité de soins spécialisée qui prendrait en charge ces avortements peu communs.

Les avantages d’une telle unité semblent nombreux. D’abord, pour le bien des femmes qui sauront à quelle porte cogner plutôt que de vivre dans l’incertitude. Deuxièmement, parce que l’équipe qui les accueillera sera mieux formée et plus équipée pour faire face aux défis cliniques et éthiques qui entourent ces avortements tardifs. Troisièmement, parce qu’une centralisation des cas permettra d’en savoir plus sur les avortements tardifs dans la province : leur nombre exact, mais aussi les raisons évoquées par celles qui y ont recours. S’il y a des mesures préventives à mettre en place ou des dérapages éthiques, cette unité sera la première à pouvoir se prononcer, à sonner l’alarme.

Encadrer l’exception n’est jamais une tâche facile, mais après 30 ans, il est temps que la loi et la pratique aillent dans le même sens.

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