Ce n’est pas anodin qu’à 12 ans d’intervalle, Stephen Harper et François Legault aient attaqué chacun leur tour le programme de contestation judiciaire du fédéral.

Dans les deux cas, le but était le même : tuer dans l’œuf tout débat suscité par l’adoption de lois controversées.

Il peut sembler exagéré de comparer les conservateurs de l’époque aux caquistes. Après tout, François Legault n’a pas coupé les fonds des organismes qui le contredisaient ni aboli les instances qu’il n’aimait pas, comme Stephen Harper n’avait pas hésité à le faire pour museler la dissidence.

Mais la semaine qui s’achève a montré que le gouvernement Legault était capable, lui aussi, de se montrer agressif envers ses opposants.

Elle a montré une tendance à écraser la contestation plutôt qu’à lui répondre. Elle a montré, surtout, une volonté d’étouffer le débat quand il ne fait pas son affaire.

On l’a vu avec le recours hâtif au bâillon pour faire adopter le projet de loi 40. Et on l’a vu dans le dossier de la laïcité avec les attaques lancées contre Justin Trudeau, la commission scolaire English-Montréal et le programme de contestation judiciaire.

M. Legault ne s’est pas contenté de se plaindre de la lenteur des travaux parlementaires portant sur l’abolition des commissions scolaires : il a brandi la menace d’un bâillon en plus d’annoncer son intention de réformer le « parlementarisme ». Simplement parce qu’il n’est pas assez « efficace » à son goût !

M. Legault ne s’est pas contenté de déplorer la décision de la commission scolaire de contester la loi sur la laïcité : il promet de prendre « les recours » nécessaires pour l’en empêcher. Façon brutale de taire les voix dissidentes !

Et enfin, M. Legault ne s’est pas limité à déplorer qu’une aide fédérale permette de contester une loi québécoise : il a tordu les faits en imputant la décision à Justin Trudeau, en l’accusant d’« insulter » les Québécois et en exigeant qu’il revoie le programme fédéral. Voilà une technique digne de Stephen Harper !

Et voilà où le lien avec l’ancien chef conservateur semble se dessiner. Dans cette hargne avec laquelle il fait taire les voix discordantes.

Rappelez-vous, dans le dossier des étudiants étrangers, quand M. Legault a visé personnellement le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et les recteurs d’université. Comme M. Harper prenait pour cible les scientifiques et les écologistes.

Rappelez-vous l’attaque en règle de François Legault contre la Régie de l’énergie, un contre-pouvoir que son gouvernement n’a pas hésité à émasculer. Comme Harper l’avait fait avec l’Office national de l’énergie.

Mais c’est bien évidemment sur le front de la laïcité que le terrain est le plus glissant. C’est sur cet enjeu qu’il va le plus loin, sous prétexte qu’il a l’appui de la majorité. Comme s’il incarnait ainsi tous les Québécois, comme si ceux-ci pensaient tous comme lui, comme s'il pouvait ainsi brimer la liberté de conscience et de religion des minorités sans même devoir s’expliquer.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre François Legault, vendredi, à l’Assemblée nationale

Or, voilà précisément pourquoi il y a des chartes des droits et libertés (dont une version québécoise, on semble l’oublier), des mesures de contrôle et des contrepoids : pour forcer les élus à tenir compte de tous les citoyens quand ils prennent leurs décisions, pas seulement ceux qui les ont portés au pouvoir.

Voilà aussi pourquoi il y a des commissions parlementaires, des partis de l’opposition et des programmes comme celui qui permet la contestation judiciaire : pour s’assurer que le gouvernement n’a pas un pouvoir absolu.

Il est peut-être frustrant pour François Legault de constater que malgré la disposition de dérogation, malgré le bâillon, malgré l’appel aux partis fédéraux pour qu’ils se tiennent loin, certains trouvent encore moyen d’exprimer leur dissidence.

Mais ce n’est pas une raison pour imiter Stephen Harper et réformer les contre-pouvoirs à mesure qu’ils s’érigent sur le chemin du gouvernement.

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