Des experts en gestion de crise se serviront peut-être un jour de la controverse soulevée par la liste de lecture de François Legault comme exemple de ce qu’il ne faut pas faire devant une tempête de critiques publiques.

La première leçon qu’ils pourront en tirer tombe sous le sens : il faut réfléchir avant de réagir.

La deuxième : quand on invite quelqu’un à notre table, on ne lui montre pas la porte parce que la bouteille de vin qu’il a apportée choque nos papilles. La politesse élémentaire veut que l’on assume jusqu’au bout le choix de nos invités.

Bref rappel des faits : dans le cadre de sa sympathique campagne Lire en chœur, l’Association des libraires du Québec (ALQ) a offert une tribune au grand lecteur qu’est François Legault.

Sa liste de « prescriptions littéraires » est très éclectique. Marie Laberge y cohabite avec Dany Laferrière, Michel Jean, Romain Gary et Mathieu Bock-Côté, dont l’essai L’empire du politiquement correct semble être un livre-phare pour M. Legault.

La présence de ce livre controversé sur la liste du premier ministre a soulevé des commentaires indignés. Des voix ont protesté contre l’idée même d’offrir une telle tribune à un politicien qui ne reconnaît pas l’existence de racisme systémique au Québec.

L’ALQ a plié devant les critiques. Elle a retiré la liste de son site web, tout en gardant la vidéo qu’elle a surmontée d’un avertissement affirmant que les opinions exprimées ne représentent pas celles de l’organisme.

Nouvelle tempête dénonçant, cette fois, une décision perçue comme un acte de censure. Le boomerang a frappé fort, avec raison. Finalement, l’ALQ a dû exprimer ses regrets et revenir sur sa décision.

La liste de M. Legault est de retour. L’avertissement figurera dorénavant sur toutes les vidéos de Lire en chœur. Et la direction de l’ALQ s’est excusée pour son « geste malheureux et regrettable. »

L’incident est clos. Mais il laisse dans son sillage un goût amer. Comment un exercice de promotion de la littérature a-t-il pu déraper à ce point ?

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Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ALQ a erré dans cette affaire. Des tas de politiciens, toutes allégeances confondues, livrent occasionnellement leurs coups de cœur littéraires, dans un mélange de spontanéité et de calcul.

On vante des livres parce qu’on les a vraiment aimés ou parce qu’on trouve que de les avoir aimés est bon pour notre image.

Peu importe : le but de l’exercice est noble. Il permet de mieux connaître le politicien… et de promouvoir la littérature.

Le choix du livre de Mathieu Bock-Côté est éloquent. Il permet de mieux cerner l’univers idéologique qui inspire M. Legault.

Que l’on soit d’accord ou pas, L’empire du politiquement correct défend des idées qui font actuellement partie du débat public. Mieux vaut les confronter que les enfouir telle une substance radioactive. Mieux vaut combattre des idées… par des idées.

Vous n’aimez pas le livre de Mathieu Bock-Côté ? Répondez-y en défendant l’essai Une arme blanche, de Jean-Pierre Le Glaunec, dont parlait récemment notre collègue Rima Elkouri. Il démonte un certain discours conservateur propagé notamment par le chroniqueur du Journal de Montréal.

Et puis, il y a une extraordinaire ironie dans le fait de bannir le livre de M. Bock-Côté. Celui-ci dénonce un « empire du politiquement correct ». Le placer sur une liste noire lui donne un argument de plus pour documenter sa thèse.

Cela dit, la vague de réactions qui a obligé l’ALQ à reculer montre que la puissance de ce prétendu « empire » a des limites…

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Ce bref psychodrame est révélateur du climat social actuel, au Québec et ailleurs en Occident. Les revendications des minorités longtemps discriminées nous forcent à remettre en question ce que l’on considérait comme des évidences.

Ces remises en question conduisent à des excès et des dérapages, ils entrent parfois en conflit avec la liberté d’expression — c’était clairement le cas ici.

Mais elles forcent aussi différents secteurs de la société à se demander comment devenir plus inclusifs. Un exercice difficile, potentiellement explosif… mais nécessaire.

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