Le Québec a-t-il le droit d’exprimer sa différence ?

A-t-il le droit d’interdire le port du voile à certaines catégories d’employés dans le but d’établir un régime laïque qui lui est propre ?

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le premier ministre du Québec, François Legault

À cette question débattue devant la Cour supérieure ces jours-ci, la réponse est oui. Sans l’ombre d’un doute.

Le Québec fait partie d’une fédération qui lui accorde une grande autonomie sur les enjeux qui touchent son identité. La langue française. La culture. Le droit civil. Les institutions qui lui sont propres. Et tout ce qui touche la religiosité, jadis catholique, aujourd’hui laïque.

« Autant de spécificités qui doivent être protégées et valorisées pour que le principe du fédéralisme soit pleinement respecté », a rappelé à la cour le constitutionnaliste Benoît Pelletier, ex-ministre libéral des Affaires intergouvernementales, ces derniers jours.

Le Québec avait donc la marge de manœuvre nécessaire pour adopter la Loi sur la laïcité de l’État, comme il l’a fait l’an dernier.

Mais le gouvernement Legault avait-il toute la légitimité pour s’exprimer ainsi au nom de la nation québécoise, et pour ainsi miner les droits fondamentaux de certains de ses citoyens ?

La vraie question qui mérite d’être débattue, elle est là.

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Au plus fort du débat sur le projet de loi 21, le premier ministre Legault a déclaré avoir toute « la légitimité d’agir » au nom de la « nation québécoise ».

Et pour en attester, son équipe n’hésitait pas à brandir les sondages qui étaient largement favorables à l’interdiction des signes religieux au Québec, notamment pour les enseignants.

Or si le gouvernement a bien sûr la légitimité démocratique de parler au nom des Québécois, il faut plus qu’un sondage pour témoigner du large assentiment collectif que recueillerait une loi aussi fondamentale.

Il faut plus, autrement dit, que l’appui d’une majorité de répondants pour faire valoir haut et fort le caractère distinct du Québec.

Pas sorcier : c’est par l’appui d’un large éventail de députés de tous les partis que la CAQ aurait démontré qu’elle parlait réellement au nom du Québec… et non pas juste au nom des électeurs de la CAQ.

Car jamais le Québec ne parle aussi fort que lorsque l’Assemblée nationale s’exprime d’une seule voix.

Et il aurait suffi d’un tout petit effort de François Legault, d’une simple main tendue aux autres partis politiques pour espérer y arriver.

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On tend à l’oublier, mais au moment où la CAQ a décidé d’agir dans ce dossier, l’Assemblée nationale se dirigeait tranquillement vers un consensus.

Après la dizaine d’années qui a suivi la commission Bouchard-Taylor, après l’attentisme des gouvernements libéraux successifs, après la charte des valeurs du PQ, l’ensemble des partis politiques semblaient en effet prêts à faire des compromis pour mettre fin à cet interminable débat.

Rappelez-vous où en étaient les formations politiques au début de 2019 : elles tournaient toutes autour du fameux compromis des commissaires Bouchard et Taylor (même si ce dernier l’a renié).

QS en avait fait sa position. Le PLQ s’en était alors rapproché. Le PQ demandait qu’on inclue les éducatrices. Et la CAQ ajoutait pour sa part les professeurs.

Il aurait alors suffi d’un petit sacrifice et d’une main tendue par François Legault pour tracer une voie de passage, pour transformer un compromis en consensus entre les partis.

Le chef de la CAQ aurait alors abdiqué en laissant tomber les profs, dites-vous ? Pas du tout. Il était prêt à agir ainsi deux ans plus tôt. Il avait en effet proposé à Philippe Couillard d’adopter le compromis Bouchard-Taylor, auquel il était prêt à adhérer avec enthousiasme.

Tout simplement parce qu’il reconnaissait lui-même à l’époque que ce compromis « fait consensus » au Québec.

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Mais non.

François Legault a choisi de faire à sa tête et d’imposer sa vision de la laïcité, en ajoutant coûte que coûte les enseignants aux employés touchés par l’interdiction des signes religieux.

C’est malheureux. D’abord parce que les profs constituent un point de friction au Québec. Ensuite parce que le gouvernement mettait alors le pied sur le terrain de l'arbitraire : on peut expliquer de manière rationnelle pourquoi on interdit les signes religieux aux agents dotés d’un pouvoir de coercition (policiers, juges, procureurs, agents correctionnels), car ils représentent l’État de par leur fonction même.

Mais ajouter les enseignants sous prétexte qu’ils sont « en position d’autorité » ? Pourquoi pas les médecins, dans ce cas ? Les éducatrices en garderie ? Ou encore le président de l’Assemblée nationale ?

La CAQ a ainsi imposé sa vision idéologique pour se distinguer de ses adversaires alors que la recherche d’un consensus aurait été de mise pour cet enjeu fondamental qui touche les droits et libertés des minorités.

Le problème de la loi 21, ce n’est donc pas que le gouvernement du Québec tente d’imposer sa différence alors qu’il n’en a pas le droit.

C’est plutôt qu’il n’a pas fait l’effort nécessaire pour démontrer, sur cette question fondamentale, qu’il parlait au nom du plus grand nombre.

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