Frank and Oak. Le Château. Aldo. Reitmans. Lolë. Paradox. Tristan. Laura. Dynamite.

Ces marques de vêtements, on ne le sait pas toujours, sont québécoises ou l’étaient jusqu’à tout récemment. Et elles ont toutes été créées par des entreprises qui se sont placées sous la protection de la loi contre les créanciers au cours des derniers mois.

C’est donc une grande partie du secteur de la mode québécoise qui est actuellement en train de boire la tasse. Cela force une réflexion. Ces marques contribuent à la diversité de notre offre commerciale. Intercalées entre les Gap, les H&M et les Uniqlo, les boutiques locales font en sorte que nos artères et nos centres commerciaux ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de Boston, de Stockholm ou de Barcelone.

Les vitrines de ces boutiques ne sont en plus que la partie visible de l’iceberg. Derrière, il y a des entrepreneurs, des créateurs, des sous-traitants, des manufacturiers, des écoles de mode.

Tout un secteur qui emploie 83 000 personnes au Québec – c’est plus que l’aéronautique.

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Chaque entreprise actuellement sous la protection contre les créanciers a son histoire. Le Château ferme définitivement ses portes. Déficitaire depuis 10 ans, la chaîne était condamnée avant même l’arrivée de la COVID-19. Frank and Oak, ancien porte-étendard du milieu des entreprises en démarrage au Québec, a été rachetée par un fonds d’investissement américain. Son siège social demeure à Montréal et les emplois sont préservés.

La plupart des autres entreprises ont bon espoir de traverser la crise. La protection contre les créanciers leur permettra notamment de renégocier les baux coûteux qu’elles ont signés avec les propriétaires de leurs boutiques.

Mais on ne se place pas à l’abri de ses créanciers par caprice ou par stratégie.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Frank and Oak, ancien porte-étendard du milieu des entreprises en démarrage au Québec, a été rachetée par un fonds d’investissement américain.

Avant même la COVID-19, les détaillants affrontaient un vent de face. Il n’est jamais facile, quand on s’appelle Dynamite, de négocier des approvisionnements en Asie aux côtés de géants comme H&M ou Gap. L’émergence du commerce en ligne a aussi forcé tout le monde à changer ses pratiques pendant qu’Amazon grignotait des parts de marché.

Puis la COVID-19 est arrivée. L’approvisionnement en provenance de l’Asie a été déstabilisé. Les boutiques ont ensuite fermé à cause du confinement. Quand elles ont rouvert, les Québécois ne s’y sont pas rués. Plusieurs travaillent de la maison dans leurs vieux cotons ouatés. On ne sort plus au resto, les bals de finissants ont été annulés. La demande pour les nouvelles fringues est au plancher.

L’extrême fragilité du secteur est alors apparue. Les détaillants n’ont pratiquement pas de trésorerie. S’ils ne vendent pas leur collection du printemps, ils n’ont souvent pas d’argent pour acheter celle de l’été. Et ils ont peu d’actifs à offrir en garantie pour obtenir des prêts.

Aujourd’hui, pendant que les comptables font leurs calculs pour savoir quelles marques et quelles boutiques seront sauvées, on doit se poser des questions.

D’abord collectivement. Alors que les Québécois sont curieux d’essayer des gins faits chez eux et distinguent les fraises du Québec des fraises californiennes en épicerie, la fierté de porter des vêtements québécois est plus rare.

Pourquoi ? L’attrait des vêtements cool et pas chers proposés par les grandes chaînes internationales à grand renfort de publicité y est évidemment pour quelque chose. Mais jouer sur la culpabilité du consommateur ne mènera à rien. Nos créateurs font-ils tout ce qu’il faut de leur côté pour se distinguer avec des produits originaux et, surtout, faire savoir qu’ils sont d’ici ? Ou certains d’entre eux misent-ils trop sur des vêtements fabriqués ailleurs et des noms de marques qui n’évoquent souvent rien de local ?

L’occasion est idéale pour mener à bien ces réflexions. On aime dire que Montréal est une ville de mode. C’est vrai. Souhaitons qu’au sortir de la pandémie, on continue à y trouver autant celle d’ailleurs… que celle de chez nous.

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