On peut se dire que c’est moins grave qu’aux États-Unis. Qu’il s’agit d’une frange bruyante, mais infime de la population qui reçoit déjà trop d’attention médiatique. Qu’il suffit d’ignorer le problème pour qu’il demeure dans la marge.

Mais la question des antimasques et les théories du complot entourant la COVID-19 montrent des signes inquiétants. Balayer le problème sous le tapis en espérant qu’il ne prenne pas d’ampleur serait un pari hasardeux.

Il est vrai qu’il existe un danger à accorder trop d’attention au phénomène. Le Québec n’est quand même pas aux prises avec un mouvement de désobéissance civile qui déstabilise la société. Et dans un article très fouillé publié dans L’actualité, la journaliste Noémi Mercier montre comment braquer les projecteurs sur ceux qui nient les faits peut contribuer à légitimer leur discours et inciter des gens à basculer dans leur camp.

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Manifestation antimasque à Québec le 15 septembre

Sauf que des élus reçoivent actuellement des menaces parce qu’ils tentent de trouver des solutions au problème sanitaire qui nous affecte. Des manifestants défient les règles, encourageant la propagation du virus. Et il y a ce chiffre, dévoilé cette semaine par l’Université de Sherbrooke, selon lequel 17,7 % des Canadiens adhèrent à des théories du complot en lien avec la COVID-19. Rien n’indique que ce pourcentage soit gonflé, et les complotistes identifiés dans l’étude en sont de vrais. Ils doivent adhérer à plusieurs théories conspirationnistes différentes pour être inclus dans cette catégorie.

Faut-il alors se contenter d’arrêter ceux qui enfreignent les règles et laisser crier les autres ? Plusieurs experts estiment que non.

C’est aussi l’avis des membres de l’Assemblée nationale, qui sont directement touchés par les attaques. Ils ont adopté à l’unanimité cette semaine une motion proposée par la députée indépendante Catherine Fournier et qui reconnaît que « la montée du phénomène complotiste au Québec est préoccupante et nécessite des actions concertées entre la société civile et les autorités publiques ».

Une fois qu’on a décidé d’agir, le plus difficile est de savoir comment. Le sujet est complexe et délicat.

La première étape est sans doute d’essayer de comprendre ce qui se passe. La COVID-19 nous a plongés dans une période de grande incertitude. Les connaissances évoluent, les stratégies changent, les messages peuvent se contredire. Des citoyens qui ne trouvent pas de réponses simples auprès des autorités peuvent aller les chercher ailleurs. Ajoutons que plusieurs n’ont pas subi personnellement les impacts de la COVID-19, mais vivent les limitations qu’elle impose au quotidien.

Cette dichotomie entre l’expérience personnelle et le message de danger qui est véhiculé peut entraîner le rejet de ce message.

Il est aussi important de bien circonscrire le problème. Il est souhaitable que les stratégies de lutte contre la COVID-19 soient critiquées et débattues. Juger qu’imposer le port du masque est exagéré par rapport à la menace du virus est une analyse que nous ne partageons pas, mais dont on peut débattre. Le droit de manifester est aussi inaliénable – même si le désaccord n’est jamais un passeport pour enfreindre la loi. Le débat devient toutefois carrément impossible quand la contestation se base sur la négation des faits (la COVID n’existe pas) ou des fabulations (le virus a été fabriqué en laboratoire pour contrôler la population).

Pour le gouvernement, tenter de convaincre des gens qui, par définition, ne croient pas le gouvernement est un solide casse-tête. Les médias font face au même défi. Les journalistes comme ceux des Décrypteurs de Radio-Canada ou du Détecteur de rumeurs de l’Agence Science-Presse font un boulot admirable pour déconstruire les mythes. Sauf que les complotistes les plus convaincus, méfiants envers les médias traditionnels, y sont imperméables.

Ces initiatives sont toutefois très loin d’être inutiles et doivent être multipliées, sur tous les tons et toutes les plateformes. D’abord parce qu’expliquer la vérité et exposer les faussetés peut freiner le recrutement de nouveaux adeptes des théories du complot. Ensuite parce que ces démonstrations peuvent semer le doute chez ceux qui ne sont pas rendus aussi loin dans le processus. Il faut enfin espérer qu’elles touchent les gens de façon indirecte, en informant un ami ou un beau-frère en qui ils ont confiance et qui peuvent, eux, les influencer.

À long terme, des efforts d’alphabétisation scientifique et de régulation de médias sociaux sont à considérer. En attendant, il faut prendre garde à ne pas jeter d’huile sur le feu. Les médias doivent faire attention à la façon dont ils rapportent des théories déconnectées du réel. Quant aux élus, ils doivent redoubler de vigilance. Le manque de transparence et les messages confus alimentent la méfiance dont se nourrissent les théories du complot.

On n’a qu’à regarder nos voisins du Sud pour mesurer avec horreur ce qui survient quand de larges pans de la population quittent la rationalité pour vivre dans une réalité parallèle. On peut choisir de se croire à l’abri… ou prendre la menace au sérieux.

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