Contourner les normes d’intégrité des contrats publics pour lutter contre la corruption. Court-circuiter des pans importants des évaluations environnementales. Prolonger indéfiniment l’état d’urgence sanitaire. N’ayons pas peur des mots : la première version du projet de loi 61, qui aurait donné au gouvernement du Québec des pouvoirs trop vastes au nom de la reprise économique, était catastrophique.

Dans quelques semaines, le gouvernement Legault déposera un nouveau projet de loi. Avec le même objectif : accélérer les travaux d’infrastructures en vue de relancer l’économie. Mais il ne suffira pas de changer le numéro du projet de loi. Il faut changer l’approche au complet. Voici six façons de le faire.

1) Ne pas baisser la garde dans la lutte contre la corruption

La dernière version du PL61 aurait permis aux villes de se soustraire pendant un an aux règles anticorruption de la Loi sur les contrats des organismes publics. Selon le comité public de suivi des recommandations de la commission Charbonneau, « le PL 61 aura pour effet de recréer un environnement favorable à la corruption, à la collusion et aux autres malversations ». Cette idée étrange doit être abandonnée.

2) Ne pas court-circuiter les évaluations environnementales

Le PL61 permettait au gouvernement de court-circuiter les évaluations environnementales, notamment celles du BAPE pour les grands projets. Encore une fois, on fait fausse route en se donnant l’option d’abaisser les exigences environnementales.

Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas raccourcir les délais à cette étape. La solution est simple : augmenter les budgets du ministère de l’Environnement et du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) afin qu’ils puissent traiter les dossiers plus rapidement.

Quand on y met de la volonté, on peut faire une évaluation environnementale complète dans un délai raisonnable.

Par exemple, le BAPE du Réseau express métropolitain (REM), le plus important projet d’infrastructures depuis des décennies avec un budget de 6,5 milliards de dollars, a duré cinq mois.

3) Réduire la bureaucratie

Québec veut accélérer l’étude de ses projets ? Réduire sa bureaucratie ? Parfait ! Mais pour faire le ménage dans sa propre cour, le gouvernement Legault n’a pas besoin de s’octroyer des pouvoirs exceptionnels dans une nouvelle loi.

4) Exproprier plus facilement pour les grands projets

Le seul aspect principal du PL61 à conserver : la volonté de raccourcir les expropriations pour les grands projets comme le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal.

Actuellement, on peut contester son expropriation devant les tribunaux pendant des années. Québec pourrait, pour un certain nombre de grands projets, instaurer un régime où on ne peut plus contester la décision d’exproprier mais où on peut contester le montant de la compensation.

C’est la formule qui a été retenue pour le REM, où le délai pour procéder à l’expropriation a été fixé à un an (pour un lot résidentiel). À titre de comparaison, les avis d'expropriations pour la ligne bleue du métro ont commencé à être envoyés en 2018 et ce n’est pas réglé.

5) Ne pas prolonger l’état d’urgence sanitaire à l’infini

Actuellement, Québec prolonge l’état d’urgence sanitaire par décret tous les 10 jours. Par principe, on devrait continuer à procéder ainsi.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

« Dans quelques semaines, le gouvernement Legault déposera un nouveau projet de loi. Avec le même objectif : accélérer les travaux d’infrastructures en vue de relancer l’économie », écrit notre éditorialiste.

6) Bien réfléchir au postulat de départ

Un mot en terminant sur l’objectif invoqué par Québec de relancer l’économie en investissant dans les infrastructures. Dans une récession typique, c’est une recette assez efficace utilisée par les gouvernements depuis des décennies*. Mais nous ne sommes pas dans une récession typique.

Des investissements plus rapides en infrastructures ne régleront pas les problèmes de l’industrie du tourisme, de la restauration et des autres secteurs qui tournent au ralenti à cause de la pandémie. En plus, le secteur de la construction fonctionne déjà à plein régime au Québec.

Sans le projet de loi 61, le Québec a le troisième plus bas taux de chômage au pays en juillet (9,5 %), devant l’Ontario (11,3 %), l’Alberta (12,8 %) et la Colombie-Britannique (11,1 %). Le Québec a vu son taux de chômage passer de 17 % à 9,5 % en trois mois, alors que l’Ontario a vu son taux de chômage stagner à 11 % durant la même période.

On ne peut pas être contre l’idée d’améliorer rapidement nos infrastructures publiques. Mais à la lumière de ces chiffres, on peut difficilement conclure qu’un projet de loi de type PL61 est essentiel à une bonne reprise économique.

* Lisez « Roads to Prosperity or Bridges to Nowhere ? Theory and Evidence on the Impact of Public Infrastructure Investment »

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