Une bonne nouvelle peut en cacher une mauvaise. En annonçant la dissolution de son gouvernement, le désormais ex-premier ministre libanais Hassan Diab a cédé à la colère d’un peuple indigné par une explosion dévastatrice, et par les années d’incurie et de corruption qui ont rendu cette tragédie possible.

Mais si l’on se fie à l’histoire récente du Liban, cette démission pourrait permettre à la caste de politiciens qui siphonnent les ressources libanaises depuis 30 ans de… se maintenir en place.

C’est ce qui est arrivé encore récemment, dans la foulée de manifestations déclenchées par l’imposition d’une taxe sur WhatsApp, l’automne dernier. Ce mouvement de protestation avait contraint le premier ministre Saad Hariri à plier bagage. Dès son entrée en fonction, son successeur a formulé solennellement 29 promesses aux Libanais. Il a tiré sa révérence lundi sans en avoir réalisé une seule.

Ce départ répond à la colère populaire, mais comme le constate la politologue Marie-Joelle Zahar, c’est aussi, pour les dirigeants démissionnaires, une manière de fuir leurs responsabilités.

Concrètement, dans l’immédiat, le pouvoir revient au Parlement qui incarne le système corrompu ciblé par les protestataires. Tout projet d’élections anticipées est sur la glace. Et il n’y a plus personne pour négocier avec le Fonds monétaire international (FMI) les conditions du prêt dont le Liban a cruellement besoin.

Devant l’hypothèse d’un « gouvernement d’unité nationale », il y a même des voix pour évoquer le retour de Saad Hariri – celui-là même qui s’était éclipsé en novembre.

Bref, le risque que la caste qui mène le Liban à sa perte depuis trois décennies survive à la crise actuelle est réel.

On comprend le scepticisme des Libanais dont la colère ne dérougit pas.

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« On comprend le scepticisme des Libanais dont la colère ne dérougit pas », écrit Agnès Gruda.

Ils ont vu d’autres dirigeants partir pour mieux revenir. Le régime libanais s’est longtemps maintenu en s’appuyant sur le spectre d’une nouvelle guerre civile, et sur les « bonbons » redistribués aux différentes communautés qui composent ce pays complexe.

Or, la débandade économique actuelle peut renforcer l’adhésion à ces politiques clientélistes, souligne Heiko Wimmen, chercheur à l’International Crisis Group.

Ce pays ultra fragmenté doit reconstruire sa capitale ravagée, mais aussi son État tout entier. Un État qui a brillé par son absence depuis l’explosion du 4 août. Aucun dirigeant n’a pris la peine de se rendre sur les lieux de l’explosion. Les Libanais sont laissés à eux-mêmes pour ramasser les dégâts, alors que les forces de l’ordre répriment les manifestants. Un abandon ahurissant.

Cela ne signifie pas qu’il n’y ait aucun scénario de sortie de crise. Il faudrait nommer un gouvernement d’experts indépendants, le laisser négocier avec le FMI et mettre en place une démarche permettant au Liban de sortir de son carcan sectaire.

Oui, mais comment y arriver ? C’est ici que la communauté internationale a un rôle à jouer. Le Liban a un pied dans le gouffre. C’est le temps de dire à ses élites politiques que pour accéder à l’aide internationale, il y a des conditions.

Il y a deux ans, la conférence CEDRE avait déjà associé un plan d’aide de 11 milliards de dollars à des réformes structurelles. Aucune de ces réformes n’a eu lieu. Le FMI demande aux dirigeants libanais de mettre en place des réformes en échange d’un prêt. La conférence des bailleurs de fonds internationaux qui se sont engagés, dimanche, à fournir 400 millions de dollars à la reconstruction de Beyrouth, exige elle aussi des réformes.

La communauté internationale s’est longtemps montrée complaisante à l’égard des dirigeants libanais, au nom de la stabilité du pays. L’épouvantail de la guerre civile a joué en faveur des détrousseurs du Liban. Ce chantage implicite a créé un monstre.

À un pied du gouffre, le Liban a plus que jamais besoin d’aide internationale. Et la communauté internationale a plus que jamais une occasion de faire pression sur les leaders libanais pour les obliger à changer les règles du jeu. Cette fois, pour vrai.

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