On a traité Nathalie Bondil en voleuse.

Après 13 ans passés à la tête du Musée des beaux-arts de Montréal, plusieurs succès et maints éloges, la directrice générale et conservatrice en chef s’est fait mettre dehors, comme une voleuse.

Et pourtant, quand on prend le temps d’écouter les témoins et acteurs de cet étrange drame, on en vient à se demander si c’est elle qui méritait la porte. Ou si ce n’est pas plutôt celui qui la lui a montrée…

On a en effet remercié sans la remercier cette femme qui a tant donné à l’établissement, sans qu’on saisisse tout à fait ce qu’on lui reproche. On l’a dépouillée de ses fonctions, on lui a retiré son cellulaire, on a coupé ses courriels. Et on lui a même interdit de se défendre publiquement (consigne qu’elle n’a heureusement pas suivie).

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Nathalie Bondil

Est-ce que le climat de travail au musée était problématique ? Oui, manifestement. Le syndicat a d’ailleurs cru nécessaire de s’en plaindre. Et Mme Bondil n’a peut-être pas été suffisamment proactive à la suite du dépôt d’un « diagnostic » indépendant à ce sujet.

Mais soulignons tout de même à sa décharge qu’elle a obtenu les recommandations du diagnostic le 28 février dernier, alors que le musée fermait ses portes en raison de la COVID le 13 mars. Un contexte peu propice au chambardement.

Et de toute façon, comment justifier qu’une situation qui semblait tolérable pendant des années soit devenue, soudainement, à ce point intolérable qu’il faille licencier la grande patronne illico ?

Comment comprendre que le président du conseil d’administration, Michel de la Chenelière, n’ait pu régler ce problème de ressources humaines à l’interne ? Et surtout, sans mettre le feu au musée ?

La question se pose d’autant plus que, le 26 juin dernier, M. de la Chenelière avait renouvelé son appui à Mme Bondil. Il lui avait alors confié que son mandat serait reconduit, ce qu’il reconnaît lui-même.

Mais le 6 juillet, à peine une semaine plus tard donc, le président du conseil l’invitait dans son jardin pour lui annoncer… qu’il n’allait finalement pas renouveler son contrat. Une rencontre organisée de sa propre initiative, sans aucun mandat du conseil d’administration !

Pourquoi lui demander de partir tout d’un coup ? Parce que Mme Bondil le « picossait », a-t-il dit…

Tout de même aberrant ! La gestionnaire vedette est demeurée à la tête de l’établissement pendant plus de 10 ans, sans aucun grief formel connu. Et en l’espace d’à peine 10 jours, la situation avait à ce point dégénéré qu’il fallait lui montrer la porte manu militari ?

Étrange façon de traiter la grande patronne d’un établissement qui a connu succès et expansions au fil des ans. Un établissement qui fait la fierté des Montréalais. Pas étonnant que la nouvelle de son expulsion ait déjà été reprise à l’international.

Le MBAM avait une experte de calibre mondial à sa tête et il s’en est débarrassé comme d’une personne gênante. Et ce, après lui avoir imposé une directrice de la conservation qui n’avait pas terminé première, selon la grille d’analyse établie par le comité de sélection (Mary-Dailey Desmarais, femme de Paul Desmarais III, dont la famille était propriétaire de La Presse jusqu’en 2018).

Or, une question se pose : le problème est-il réellement Mme Bondil ? Ou est-ce le président du conseil d’administration qui semble clairement avoir outrepassé son rôle ?

Comment expliquer que Michel de la Chenelière ait réglé ce dossier comme si le musée lui appartenait ? Comment comprendre que cet homme ait agi comme s’il était patron de l’établissement ? Comment justifier que le président du C.A., dont le rôle n’est pas d’assurer la gestion quotidienne du musée, ait été présent dans les bureaux du musée de manière quasi quotidienne depuis sa nomination ?

Préside-t-il le conseil ou se prend-il pour le PDG du musée ?

Il est d’ailleurs curieux qu’après avoir échoué à trouver une solution apaisée à cette crise, sa première décision ait été… de remplacer la directrice qu’il a lui-même congédiée ! Une tâche qui aurait dû revenir à un autre membre du comité de direction.

Clairement, on semble avoir « renié tous les principes de bonne gouvernance » pour mettre fin prématurément au contrat de Mme Bondil, comme l’a écrit Monique Jérôme-Forget dans cette section mardi. Avec, comme triste issue, le congédiement cavalier d’une femme de grand talent qui manquera assurément à Montréal et à son musée des beaux-arts, qui aura désormais fort à faire pour conserver ses appuis, ses projets d’avenir et ses donateurs.

À moins qu’on bouge assez vite pour trouver un remplaçant… au président du conseil.

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