Allez, reconnaissez-le, le sort de la baleine qui a été retrouvée morte mardi ne vous a pas laissé de marbre. Vous avez été ému.

Vous auriez voulu qu’elle retrouve son chemin et parvienne à remonter le fleuve. Vous auriez souhaité que son histoire se termine bien. L’année avait déjà été riche en drames, nous n’avions pas besoin de celui-ci.

Bref, il s’est passé quelque chose d’inhabituel et de furieusement stimulant : nous avons été captivés par ce rorqual à bosse et son destin.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

« Reconnaissez-le, le sort de la baleine qui a été retrouvée morte mardi ne vous a pas laissé de marbre. Vous avez été ému », écrit notre éditorialiste.

Mais derrière ce constat se cache une question qui mérite qu’on s’y attarde. Comment se fait-il que, d’ordinaire, on s’en fasse en général si peu pour le sort de ses semblables, les autres cétacés menacés ?

Cela s’explique, évidemment. Le cerveau humain est ainsi fait que si on personnalise un problème, on va se sentir plus concerné. Et que si une baleine bouscule notre quotidien et nous émerveille avec ses acrobaties dans le Vieux-Port de Montréal, on va s’y attacher. Nettement plus qu’aux autres baleines qui exécutent leurs sauts dans l’anonymat, et dont les éclaboussures ne perturbent rien d’autre que le reflet du ciel sur la surface de l’eau.

Loin des yeux, loin du cœur ; le proverbe, ici, se vérifie.

Ça s’explique, mais ça ne veut pas dire que c’est logique. Ce n’est pas non plus acceptable. Dans les circonstances, on voudrait souhaiter que loin des yeux puisse vouloir dire près du cœur.

« La situation de cet animal était bien particulière, mais il faisait quand même face à des menaces auxquelles ses congénères vont faire face tout l’été », nous a fait remarquer Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins.

« Plus les gens vivent dans des grands centres, plus on remarque une déconnexion avec la nature », a-t-il notamment observé.

On se questionne en effet trop peu sur notre rapport à la mer et à ceux qui l’habitent.

L’époque où l’humain craignait les monstres marins qui, imaginait-il, peuplaient les océans nous semble être un non-sens tant la situation d’aujourd’hui est aux antipodes. Ce sont les créatures des mers qui doivent nous craindre. Pas l’inverse.

Elles sont soumises à la même pression que les animaux qui vivent hors de l’eau et connaissent, elles aussi, un déclin dont l’accélération est alarmante.

La dégradation de la biodiversité fait les manchettes de temps à autre, lorsqu’une étude, puis une autre, font état d’une situation si catastrophique qu’il serait indécent de ne pas leur accorder d’attention.

Puis, rapidement, on passe à ce qu’on estime plus sérieux ; nos sociétés se remettent à se préoccuper avant tout de croissance et de profit.

Le cas particulier des cétacés avec lesquels nous partageons notre écosystème en est un bon exemple.

Et on ne peut pas vraiment se consoler en se disant que le rorqual à bosse, n’est pas une espèce en voie de disparition ; ce serait comme si on admirait un arbre et qu’on refusait de voir la forêt qu’il cache et qui, elle, a pris feu.

Prenez les bélugas. On ne les extermine plus avec enthousiasme comme on le faisait au Québec il y a plusieurs décennies, mais l’activité humaine continue néanmoins de fragiliser l’espèce.

Et que dire des baleines noires, une espèce qu’on va bientôt pouvoir compter sur les doigts d’une main si la tendance se maintient ? Les experts ont sonné l’alarme en 2017 alors qu’une douzaine (sur environ 400) sont mortes dans les eaux canadiennes ; depuis qu’elles semblent avoir décidé de migrer vers le golfe du Saint-Laurent pour se nourrir.

On n’arrive pas à trouver assez de solutions, assez rapidement pour limiter les menaces à la survie des cétacés du Saint-Laurent, comme les collisions avec les navires ou les empêtrements dans les engins de pêche. Et on ne protège pas leurs habitats du développement avec assez de zèle.

Si on a été ému par le sort de cette baleine, s’empresser de protéger les autres cétacés serait une très bonne idée, même si on n’a pas pu les tutoyer.

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