Tout de même ironique quand vous y pensez.

La même semaine, la CAQ a tenté de faire passer à toute vapeur un projet de loi qui lui permettrait de réaliser de grands projets rapidement afin de contrer le plus tôt possible le ralentissement économique, mais pour contrer le racisme systémique, elle en a appelé à… une simple « évolution tranquille ».

Évolution.

Tranquille.

Ça, et attendre que les problèmes se corrigent seuls, c’est du pareil au même, non ? Pourrait-on imaginer un premier ministre espérant qu’on évolue « tranquillement » vers l’égalité entre hommes et femmes ?

S’il y a une chose qu’ont montrée les dernières semaines, c’est que le Québec est mûr pour une intervention politique d’envergure sur cette question. Mûr pour un virage qui lui permettrait de faire évoluer rapidement les mentalités, tant sur le plan individuel qu’organisationnel.

Il est peut-être temps pour des actions sur le terrain, comme en prévoient le gouvernement, la Ville et le SPVM, mais il est temps surtout pour une grande discussion collective autour de ce sujet qui divise.

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La chroniqueuse Tasha Kheiriddin a relaté hier dans La Presse  la « prise de conscience canadienne » du phénomène du racisme systémique. Tant mieux.

Mais force est d’admettre que cette prise de conscience est quelque peu différente au Québec, où des commentateurs politiques s’acharnent à y voir le procès des Québécois.

Plus grave, le premier ministre Legault rejette l’expression « racisme systémique ». Et pire encore, il ramène le phénomène à un simple « racisme » que l’on devine rare et individuel… façon de nier par la bande la prévalence d’une discrimination systémique, même dans l’appareil gouvernemental.

Et ce, même si la discrimination systémique basée sur la couleur de la peau, la consonance étrangère du nom et l’origine ethnoculturelle est archidocumentée au Québec.

Même si la Commission des droits de la personne a répété cette semaine que la discrimination à l’emploi est bel et bien un « enjeu réel » et un « phénomène systémique ».

Même si des agences gouvernementales comme la Société des alcools comptent à peine 1,6 % de membres des minorités visibles dans leurs rangs.

Même si les biais systémiques liés à l’appartenance raciale dont font preuve les policiers du SPVM sont jugés « très préoccupants » par le SPVM lui-même.

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Certes, il est plus difficile pour une société minoritaire de reconnaître ce genre de phénomènes. Plus difficile de se voir responsable d’injustices quand on se voit soi-même comme victime d’injustices.

D’où cette réponse commode : le Québec n’est pas les États-Unis.

D’où cette autre réponse commode : le racisme systémique est une invention d’une poignée de militants anglophones de Concordia qui ne comprennent rien au Québec…

Bien sûr que le Québec n’est pas les États-Unis ! Mais cet état de fait ne peut servir à nier nos propres problèmes, fussent-ils moins dramatiques qu’au sud de la frontière.

Cela commande peut-être un plan d’action, comme celui que promet François Legault. Cela commande des gestes concrets au sein des forces de l’ordre et de la Ville de Montréal. Mais la profondeur du phénomène commande aussi une grande consultation publique qui nous permettrait d’entendre les experts nous parler du racisme systémique (ou de discrimination systémique des minorités visibles, si on trouve l’expression moins chargée) et surtout, d’entendre les victimes de cette discrimination qui n’existe pas selon le premier ministre.

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L’important, c’est d’aller plus loin que les rapports passés en tendant l’oreille à ceux qui sont intéressés ou touchés par cette discrimination, d’une façon ou d’une autre, comme on l’a fait pour les accommodements raisonnables en 2007.

Cela ferait œuvre pédagogique, en quelque sorte. Cela éveillerait les consciences. Et cela obligerait tout le monde à faire son propre examen de conscience, tant individuel que collectif, comme l’a fait la mort de George Floyd aux États-Unis ces dernières semaines.

En ce sens, s’en tenir à un plan d’action vite fait serait comme espérer qu’une plaie ouverte disparaisse avec l’ajout d’un bon nombre de pansements.

La bonne nouvelle, c’est que le rapport dévoilé ces derniers jours par la Commission des droits de la personne montre qu’un peu de bonne volonté, couplée à des gestes et à des actions, peut réduire la discrimination : en 10 ans, la proportion de personnes issues des minorités visibles dans les organismes publics est passée de 2,7 % à 6,3 %.

Mais preuve que cela ne peut tout régler d’un coup de plan d’action, c’est qu’on demeure loin de l’objectif fixé à 10,3 %. Il y a ainsi eu « trop peu de progrès », selon la Commission.

Il ne faut donc pas une lente évolution qui se poursuive tranquillement, comme le veut Legault, mais bien une évolution profonde, nécessaire et urgente.

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