Durant cette crise, certains ont le « nous » un peu facile.

« Nos compagnies aériennes vivent des moments très, très difficiles », disait la semaine dernière le ministre des Transports du Canada, Marc Garneau. Il n’exige donc pas qu’elles remboursent leurs clients. Même si cela violerait la loi et même si elles pourront bénéficier en parallèle d’au moins trois programmes d’aide du fédéral (subvention salariale d’urgence, crédit d’urgence pour les grands employeurs et prêts d’Exportation et développement Canada).

Les clients dont le vol a été annulé ont seulement reçu un crédit – les conditions varient selon les transporteurs. Au lieu de renvoyer aux consommateurs leur argent, ces compagnies le gardent dans leurs coffres.

À titre de contribuables, ces clients finançaient déjà le sauvetage de ces entreprises. Et maintenant, ils leur versent aussi, bien malgré eux, un prêt sans intérêt.

Il n’y a rien de mal à offrir un crédit à ceux qui le veulent, mais ce devrait être une option qui s’ajoute au remboursement. Car plusieurs clients ne pourront ou ne voudront pas voyager lors de la reprise des vols, faute de temps ou d’argent ou encore par crainte pour leur santé. Et c’est tout à fait leur droit.

Aux États-Unis et dans l’Union européenne, la directive était simple : remboursez. Ce devrait être le cas aussi chez nous.

Selon le Code civil et la Loi sur la protection du consommateur, si un service est annulé à cause d’un cas de force majeure, il doit être remboursé. De plus, si un service est acheté plus de deux mois à l’avance, l’argent doit être placé dans un compte en fidéicommis, rappelle l’organisme Options consommateurs.

Cela signifie que les compagnies aériennes sont censées avoir accès à au moins une partie de ces sommes – celles pour les vols achetés à l’avance qui devaient partir après la mi-mai.

PHOTO CHARLES PLATIAU, ARCHIVES REUTERS

« À la décharge du ministre Marc Garneau, la situation n’est pas simple », reconnaît notre éditorialiste.

Si l’argent est dans un compte de fidéicommis en ce moment, à quoi sert-il ?

Et s’il ne s’y trouve pas, où est-il allé ?

Des actions collectives ont déjà été déposées. Si le fédéral s’en remet aux tribunaux, cela prendra du temps, beaucoup de temps.

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À la décharge de M.  Garneau, la situation n’est pas simple. Les transporteurs subissent une chute sans précédent de leurs revenus avec une baisse d’environ 95 % de leurs passagers. Il craint que ces compagnies fassent faillite, ce qui n’aiderait pas à rembourser leurs clients.

D’ailleurs, le ministre n’est pas seul. En Europe, 12 pays ont écrit à Bruxelles pour demander que le remboursement ne soit pas obligatoire.

M. Garneau veut que tous les transporteurs survivent à la crise afin de protéger la concurrence et le niveau de services – le projet de loi C-49, devenu loi en 2018, tout comme la nouvelle charte des voyageurs, visaient aussi cet objectif.

Tout cela, on le comprend.

Reste qu’un contrat, c’est un contrat. Et que dans les dernières années, les consommateurs ont peu profité de cette fameuse concurrence.

En fait, ils ont surtout été pressés comme des citrons. Les surréservations, les frais de bagages et autres extras ont maximisé les marges de profit des transporteurs. L’objectif ultime : enrichir les actionnaires et la haute direction.

Air Canada, classé avant-dernier du palmarès des transporteurs de la revue Protégez-vous, en constitue un bel exemple. Son titre boursier a quintuplé sa valeur depuis cinq ans et son patron, Calin Rovinescu, reçoit des émoluments princiers.

Certes, le ministre Garneau dit vouloir protéger en même temps les clients et les employés des transporteurs. Ce n’est pas pour avantager leurs actionnaires qu’il agit ainsi. Mais même si ce n’est pas son intention, cela reste tout de même la conséquence. Il est aussi désolant que le gouvernement caquiste reste invisible dans le dossier – la Loi sur la protection du consommateur relève du Québec.

Dans les derniers jours, à la suite des pressions populaires, des transporteurs ont assoupli leurs crédits de voyage. Par exemple, Air Canada a rendu son crédit transférable, sans limite de durée, et convertible en miles Aéroplan bonifiés. C’est très bien, mais cela aurait dû être offert dès le départ et cela ne dispense pas d’offrir en même temps un remboursement.

On aimerait croire que les transporteurs en payeront le prix. Mais depuis des années, ils démontrent que l’insatisfaction de la clientèle ne les empêche pas de faire de bonnes affaires.

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