Le renfort de l’armée est sans doute requis en CHSLD, mais il n’en demeure pas moins un peu gênant.

Certes, le Québec n’est pas la seule province à avoir demandé cette aide d’urgence – l’Ontario aussi l’a fait. On ne doute pas que ces militaires serviront fièrement, comme ils l’ont déjà fait, entre autres, lors des inondations printanières de 2017. Tout cela est très bien.

Ce qui est toutefois regrettable, c’est qu’ils doivent le faire alors que des professionnels de la santé qui ne demandaient qu’à aider restent encore sur la touche. Et que certains auraient eu besoin de moins de formation avant de commencer le travail.

Il y avait de nombreux volontaires : des étudiants finissants en médecine et en soins infirmiers, des immigrants en attente de reconnaissance de leur diplôme, des professionnels de la santé comme les physiothérapeutes en manque de boulot, des retraités voulant retourner dans le réseau de la santé, ou encore de simples et valeureux bénévoles. Sans oublier les médecins qui avaient déjà levé la main avant que le premier ministre François Legault ne leur envoie un signal de détresse.

Nombre d'entre eux attendent encore le feu vert pour sauter dans la mêlée.

Le paquebot de la santé est difficile à faire changer de direction. Il ne se connaît pas non plus très bien lui-même.

La pénurie d’infirmières et de préposées aux bénéficiaires a été démontrée. Il est toutefois difficile de chiffrer le nombre précis d’employés – le Ministère recense les heures travaillées et non les individus.

Avec la crise, il est encore plus difficile d’obtenir un portrait clair. Et à cela s'ajoute le défi de suivre tout ce qui se passe dans le réseau privé (CHSLD privés non conventionnés, ressources intermédiaires et résidences pour aînés).

Environ 9500 personnes manquent à l’appel et elles n’appelaient pas toujours la veille pour prévenir de leur absence. L’établissement le constate souvent le matin quand les patients qui sonnent leur cloche restent sans réponse. Il est alors trop tard.

Certains de ces employés sont tombés malades alors que d’autres ont eu peur et sont restés chez eux. On ne les juge pas, cela se comprend. Surtout avec la chiche rémunération offerte dans les établissements privés non conventionnés et dans les ressources intermédiaires.

Malgré les signaux rassurants de M. Legault, de multiples témoignages sur le terrain rapportent que des employés étaient mal protégés. S’ils s’étaient sentis en sécurité, ils seraient moins nombreux à rester à la maison.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Membres des Forces armées canadiennes au CHSLD Valeo, à Saint-Lambert

Le site « Je contribue » s’est aussi avéré rigide. En pleine crise, Québec a dû emprunter une procédure analogue à celle des demandes d’embauche. Or, le ministère de la Santé, les établissements CIUSS-CISSS et les fédérations professionnelles semblaient fonctionner chacune avec leur base de données. Il y a eu des doublons. Des gens étaient inscrits deux fois, d’autres étaient rappelés à de multiples reprises pour se faire poser les mêmes questions. À cela s’ajoutent les résistances d’ordres professionnels et autres lobbys qui ont voulu ajouter leurs conditions.

Voilà tous les petits accrocs qui nous ont menés à devoir appeler l’armée.

Bien sûr, même sans pénurie de main-d’œuvre, même sans manque d’équipement et même avec une rapide intégration des bénévoles, le réseau des CHSLD et des établissements privés aurait été sévèrement ébranlé par la crise. Il y aurait eu des employés et des milieux de travail contaminés, et donc, des personnes âgées laissées à elles-mêmes.

Si on examine les problèmes, ce n’est pas pour le plaisir d’intenter un procès – ceux qui soignent les malades sur le terrain doivent penser que si une personne a le temps de partir à la chasse aux coupables, c’est qu’elle a trop de temps tout court.

On le souligne plutôt pour comprendre les erreurs commises dans le Grand Montréal afin d’éviter que les régions les reproduisent. Sinon, elles risquent de souffrir à leur tour.

D’ailleurs, Justin Trudeau pourrait lui aussi en tirer des leçons. Hier, il s’est montré exaspéré par la crise dans les CHSLD du Québec. « On va aider le Québec à reprendre le contrôle », a-t-il dit. Si le sort des personnes âgées le préoccupe, il n’avait qu’à indexer le financement en santé en fonction de l’âge de la population comme Québec le lui demandait en 2016. Ou à tout simplement ne pas se battre avec tant d’ardeur pour ralentir la hausse du financement tout en imposant ses conditions.

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