Sondage après sondage, les démocrates le répètent : ils veulent par-dessus tout trouver le candidat qui va leur permettre de battre Donald Trump en novembre. Et le message que des millions d’électeurs au sein de 14 États viennent de lancer, c’est qu’en la matière, ils se méfient de Bernie Sanders.

C’est ainsi qu’il faut interpréter la résurrection de Joe Biden à l’issue du « super mardi ».

C’est ce qui explique qu’avec des coffres bien moins remplis que son principal rival et une organisation sur le terrain déficiente, il a malgré tout pu triompher dans 10 des États en jeu.

C’est ce qui semble aussi expliquer que dans plusieurs États importants — tout particulièrement en Virginie et au Texas —, le taux de participation a bondi par rapport aux primaires démocrates de 2016.

Beaucoup ont probablement davantage été stimulés par la crainte de voir Bernie Sanders remporter la course au leadership démocrate… et mener leur parti à l’abattoir l’automne prochain.

PHOTO CAITLIN OCHS, REUTERS

Bernie Sanders a fait le point sur les résultats du « super mardi », mercredi à Burlington.

Car ces démocrates n’ont pas seulement peur que Donald Trump soit réélu. Ils ont aussi peur que le sénateur du Vermont leur fasse perdre des sièges au Sénat et à la Chambre des représentants à Washington en novembre.

Certains des rivaux de Bernie Sanders avaient soulevé cet enjeu lors du plus récent débat démocrate. Ça n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

Donald Trump réélu avec une majorité de républicains dans chacune des deux chambres du Congrès américain ? Ce serait catastrophique.

Le problème de Bernie Sanders n’est pas tant son message. Il rejoint bon nombre de préoccupations des électeurs démocrates, convaincus qu’il faut réduire les inégalités croissantes aux États-Unis, tout particulièrement en matière de santé, et lutter avec vigueur contre les changements climatiques.

Plusieurs de ses rivaux allèguent qu’il va trop loin. Que certaines de ses idées sont radicales. Mais le problème, vraisemblablement, c’est surtout le messager. C’est Bernie Sanders lui-même.

Et si on devait utiliser uniquement un mot pour le résumer, ce problème, ce serait : socialiste.

Dans son plus récent essai traduit en français, Lutter contre les zombies, l’économiste et chroniqueur au New York Times Paul Krugman explique que les républicains entretiennent depuis longtemps la confusion entre deux « réalités bien distinctes » désignées par le mot « socialisme ».

Il y a d’un côté « la propriété collective des moyens de production », ce dont ne veulent bien sûr rien savoir la plupart des électeurs américains. Et il y a de l’autre « une économie de marché avec un solide filet de sécurité sociale et une régulation des entreprises — ce que les Européens appellent la “social-démocratie’’ ».

Le programme politique de Bernie Sanders s’inspire de cette réalité, pas de celle du Venezuela. C’est aussi vrai que la Terre est ronde. Mais les républicains s’en fichent. Ils « instrumentalisent la peur du socialisme en vue des élections présidentielles », souligne Paul Krugman.

Et ça marche ! C’est terriblement efficace, en fait. Les mots et leur portée sont cruciaux en politique. 

Actuellement, l’étiquette de socialiste dont se réclame Bernie Sanders est toxique aux yeux de trop de monde aux États-Unis.

Selon un récent sondage Gallup, seulement 45 % des Américains se disent prêts à voter pour un candidat « socialiste » à la Maison-Blanche, alors qu’ils sont 60 % à se dire prêts à voter pour un athée, 66 % pour un musulman ou encore 80 % pour un chrétien évangélique.

Rien que d’y penser, les stratèges républicains doivent se frotter les mains à l’idée d’un éventuel duel Trump-Sanders. C’est visiblement ce qu’un grand nombre de démocrates ont compris.

La course n’est pas terminée, bien sûr. Bernie Sanders fera tout pour briser l’élan de Joe Biden au cours des prochaines semaines. La politique étant ce qu’elle est, ça pourrait marcher. Et peut-être pourrait-il terrasser Donald Trump à l’automne…

Il reste qu’on vient d’assister à un revirement spectaculaire.

Et si certains ont crié au miracle, c’est le contraire qui est vrai : la remontée de Joe Biden n’a rien d’inexplicable. Elle confirme à quel point les démocrates, qui souhaitent se débarrasser de Donald Trump à tout prix, ne veulent prendre aucun risque.

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