Le gazouillis du New York Times se voulait léger, mais il a été envoyé au pire moment possible. « Plusieurs Canadiens sont tout excités à l’idée que le prince Harry et Meghan Markle déménagent au Canada, pour injecter une dose de clinquant à l’immense pays où on gèle jusqu’aux os. »

Le gazouillis a été mis en ligne le 11 janvier à 9 h 30 alors qu’au Canada, on apprenait que l’Iran avait reconnu quelques heures plus tôt avoir abattu « involontairement » le vol 752 d’Ukraine International Airlines.

La réplique canadienne au NYT a été rapide et cinglante. « On vient de perdre 63 Canadiens cette semaine dans la brume de la guerre causée par un président téméraire. Personne n’est “excité” », a répondu Brian Wilde, un journaliste sportif de Global Montréal, suivi de plusieurs autres.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

L’heure était au recueillement, jeudi dernier à Ottawa, à la mémoire des victimes du vol d’Ukraine International Airlines.

Ce petit incident peut sembler anodin, mais il résume à lui seul le malaise ressenti au nord du 49e parallèle depuis la tragédie aérienne du 8 janvier. Nous sommes plusieurs à nous demander où est l’empathie de notre voisin quand des Canadiens deviennent les principaux dommages collatéraux d’une confrontation entre les États-Unis et un de ses ennemis, dans ce cas-ci, l’Iran. Elle est plutôt difficile à trouver depuis la semaine dernière à Washington comme dans les grands médias américains.

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On ne demande pas ici aux États-Unis de prendre la responsabilité de la tragédie aérienne. Non, ils n’ont pas lancé de missile sol-air sur l’avion civil qui venait tout juste de quitter l’aéroport Imam-Khomeini. Non, ils n’ont pas menti effrontément pendant trois jours, affirmant qu’un souci technique était la cause de l’accident. C’est l’Iran qui doit répondre de ses actes et offrir des réponses aux proches des victimes ainsi qu’un accès sans contrainte à l’enquête. C’est l’Iran qui doit formuler des excuses et verser des compensations aux familles des disparus. Et c’est aussi l’Iran qui est montré du doigt ces jours-ci lors des cérémonies à la mémoire des morts ou lors des manifestations dans les rues de Téhéran.

Cependant, les États-Unis ne peuvent pas prétendre qu’ils ne sont pas dans le portrait. Pas au premier plan de l’écrasement d’avion, mais juste derrière.

L’escalade a débuté lorsqu’ils se sont retirés de l’entente nucléaire avec l’Iran et a pris un tournant dangereux après l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani en Irak.

Dans les circonstances, on aurait aimé que Donald Trump envoie des condoléances bien senties aux proches des 176 victimes et aux pays touchés (Canada, Ukraine, Suède, Afghanistan, Grande-Bretagne) et qu’il fasse un geste symbolique montrant son désarroi. Ça pourrait notamment prendre la forme d’une invitation formelle à Justin Trudeau. Au lieu de ça, sur son compte Twitter, c’est le silence radio.

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Malheureusement, ce n’est pas la première fois que Washington manque d’égards quand le Canada se retrouve dans la ligne de tir d’un conflit dans lequel les États-Unis sont un acteur central. On peut penser aussi à l’emprisonnement en Chine de deux Canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, à la suite de l’arrestation par le Canada d’une dirigeante chinoise de la société Huawei à la demande des États-Unis. C’est la Chine qui est responsable de ces arrestations, mais les États-Unis peuvent difficilement s’en laver les mains.

Pendant que les deux Canadiens croupissent en prison dans des conditions qu’on dit lamentables, Donald Trump s’apprête à signer mercredi une entente commerciale avec l’empire du Milieu. Par ailleurs, le président américain a mis plus de six mois avant d’aborder la question des deux détenus canadiens avec son homologue chinois, mais il n’a jamais fait de leur libération un enjeu des négociations. Et tant pis pour son allié fidèle qui s’est mis le cou sur le billot en faisant respecter les lois d’extradition.

Heureusement, dans le dossier chinois, de nombreux acteurs américains des sphères politique, universitaire et journalistique ont demandé à la Maison-Blanche d’intervenir, de reconnaître le rôle que les États-Unis jouent dans ce théâtre diplomatique.

On s’attend à la même sollicitude dans la foulée de l’écrasement du vol PS752. À une véritable sympathie de la part de notre voisin et allié pour la douleur et la colère collatérale qui grondent de notre côté de la frontière. Dans les circonstances, c’est vraiment la moindre des choses.

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