D’un point de vue scientifique, Julie Payette n’a pas tort. Comme l’a rappelé la gouverneure générale jeudi lors du discours du trône, les Canadiens sont « inévitablement liés au même continuum espace-temps » et ils « voyagent tous à bord du même vaisseau planétaire ».

Reste que sur Terre comme ailleurs, les choses avancent à une vitesse bien relative. Tout dépend du point de vue de celui qui regarde. Pour les conservateurs, le gouvernement Trudeau fonce trop vite dans la lutte pour le climat. Tandis que pour le reste de l’opposition, les libéraux traînent les pieds. Cela donne un avant-goût du nouveau gouvernement minoritaire.

Le slogan de M. Trudeau était « choisir d’avancer », mais il sera difficile de se rendre loin vers l’avant alors qu’il est tiré en même temps vers la gauche et vers la droite.

Il y a tout de même un côté qui tire plus fort. Près de deux Canadiens sur trois ont voté pour un parti qui veut réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre (GES). Et ce sont ces partis — le Bloc québécois, le Nouveau Parti démocratique — qui ont manifesté une ouverture à maintenir temporairement le gouvernement libéral minoritaire au pouvoir. C’est donc en théorie à eux qu’il essayera de plaire.

Malgré tout, il a tenté de ménager l’Ouest. Il était donc curieux d’entendre le chef conservateur, Andrew Scheer, dire que le discours n’offrait rien à ces électeurs. Car plusieurs passages ont pourtant été rédigés pour eux.

C’est dans ses omissions que M. Trudeau s’est montré le plus révélateur.

Il est vrai que le premier ministre a étrangement omis de prononcer le mot « pétrole ». C’était maladroit, comme si cette industrie constituait une honte qu’on ne pouvait nommer.

Mais d’autres silences de M. Trudeau se voulaient au contraire conciliants. Il n’a pas dit qu’il hausserait le prix du carbone, même si ce serait nécessaire pour atteindre la cible de réduction des gaz à effet de serre. Il n’a pas donné d’idée précise des mesures à venir, à part des mesures susceptibles de plaire aux consommateurs, comme les rénovations vertes et les rabais pour véhicules électriques. Et il s’est borné à parler de sa cible de 2050, une façon de remettre à plus tard les choix difficiles. Aucun mot sur la cible de 2030 et l’accord de Paris.

Où obtiendra-t-on les réductions de 80 mégatonnes requises pour atteindre cet objectif pourtant modeste de Stephen Harper, repris par les libéraux ? Pendant combien de temps pourra-t-on poursuivre l’expansion de l’industrie pétrolière tout en prétendant être un leader climatique ? Si M. Trudeau le sait, il n’ose pas encore le dire.

Et de toute façon, il existe déjà un compromis pour l’Ouest : l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain et le plan d’aide de 1,6 milliard à l’industrie énergétique. Tout cela a déjà été annoncé à la fin de son dernier mandat, mais l’Ouest a confondu cette main tendue avec une gifle.

Personne ne s’attendait à ce que M. Scheer dise quelque chose d’aimable à propos du discours, mais il est surprenant de voir sa hâte à se marginaliser. Les premiers ministres de l’Alberta et de la Saskatchewan ont été beaucoup plus réservés. Dans sa réaction, le chef conservateur s’adressait essentiellement à ses militants des Prairies. Comme si sa principale préoccupation était de garder son boulot, et qu’il sollicitait l’appui des plus fidèles militants de sa région pour rester assis aussi longtemps que possible sur son siège éjectable. Ce n’est pas ainsi qu’il obtiendra des gains au Parlement.

PHOTO FRED CHARTRAND, LA PRESSE CANADIENNE

La gouverneure générale, Julie Payette, a lu le discours du trône en présence de Justin Trudeau, le 5 décembre à Ottawa.

La réaction de Jagmeet Singh était également spéciale… Le chef néo-démocrate semble oublier que le Canada est une fédération. Il reproche à M. Trudeau ne pas enfoncer son projet d’assurance médicaments assez profondément dans la gorge des provinces, qui n’en veulent pourtant pas. Même empressement de sa part pour les soins dentaires.

Le premier ministre libéral aura de la difficulté à le satisfaire sans créer une nouvelle crise avec les provinces. Il en a déjà plein les bras avec la colère des Prairies.

Quant à lui, le Bloc s’avère un allié aussi improbable que fiable. Contrairement à MM. Scheer et Singh, Yves-François Blanchet n’a pas besoin d’exagérer ce qui l’oppose à M. Trudeau. Tout le monde connaît leurs différences. Mais ses principes sont clairs, et il est ouvert à la possibilité d’appuyer ce qui avantage selon lui le Québec. Et cela n’inclut pas l’expansion des sables bitumineux.

On comprend donc que dans ce contexte, M. Trudeau aurait pu aller beaucoup plus loin dans son discours du trône pour protéger l’environnement. S’il ne l’a pas fait, c’est pour ménager autant que possible les Prairies.

On le comprend. Au Québec, on sous-estime l’aliénation de l’Ouest. Elle est inflammable, comme elle l’a déjà été d’ailleurs ici. Rien ne sert de l’arroser d’huile.

Reste que plus le temps avancera, plus le Canada devra faire un choix : atteindre ses cibles climatiques ou défendre l’industrie pétrolière. L’Ouest devrait se réjouir que M. Trudeau veuille encore faire les deux en même temps. Cela pourrait fonctionner le temps d’un mandat minoritaire. Mais plus le temps passera, plus ce prétendu équilibre deviendra intenable.

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