Le message a fini par passer.

Justin Trudeau a tendu la main au Québec, hier, après l’avoir tenu pour acquis pendant quatre ans. Il a augmenté l’influence du caucus de la province en distribuant les ministères influents. Et il a enfin nommé un lieutenant politique juste pour le Québec, ce qu’il refusait obstinément de faire jusqu’ici.

Les rôles accordés aux députés québécois sont impressionnants, notamment Jean-Yves Duclos au Trésor et François-Philippe Champagne aux Affaires étrangères.

Mais c’est véritablement dans le choix de Pablo Rodriguez comme lieutenant du Québec, une fonction qu’il ne faut pas sous-estimer, que l’on voit que le premier ministre a compris que les prochaines années ne pouvaient ressembler aux dernières.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau et Pablo Rodriguez

Le lieutenant ne fait pas que gagner des élections. C’est celui qui se bat pour sa province haut et fort, au quotidien. C’est celui qui parle avec autorité au sein du Conseil des ministres. C’est celui qui a l’oreille du premier ministre.

Bref, c’est un nécessaire bras politique dans l’énorme machine qu’est le gouvernement fédéral, surtout pour une province au caractère distinct, dont la culture et la langue doivent être protégées avec vigueur.

« Les Québécois ont clairement dit […] qu’ils voulaient avoir une voix plus forte au gouvernement », a précisé M. Trudeau hier.

L’ancien commentateur Jean Lapierre, qui avait joué ce rôle pour Paul Martin, racontait que l’importance du travail du lieutenant se révèle aussi dans les coulisses de la colline parlementaire, lors des rencontres informelles avec les hauts fonctionnaires qui permettent de connaître et d’influencer les décisions à venir.

« Il faut que tu aies un réseau bien établi au sein de l’appareil gouvernemental, expliquait-il à La Presse il y a quelques années. Sinon, sans antennes, il n’y a personne pour t’avertir qu’une mauvaise décision va te tomber sur la tête… »

Voilà ce qui a manqué au gouvernement libéral pendant les quatre dernières années. Un représentant en chef pour le Québec, capable de pousser des dossiers, de comprendre l’importance des enjeux, d’avertir le premier ministre des erreurs à ne pas commettre.

Bien sûr, Justin Trudeau prétendait que le Québec n’avait pas besoin de lieutenant, car lui-même jouait le rôle de « général ». Mais il n’a jamais semblé « tirer la couverte » vers le Québec, comme l’avait fait Jean Chrétien, par exemple. Il n’a pas donné l’impression de défendre le point de vue du Québec au sein de son propre bureau. Et il n’a jamais su s’entourer de Québécois forts dans son propre cabinet.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

« Justin Trudeau prend acte du fait que son deuxième mandat ne pouvait être la poursuite du premier », souligne François Cardinal.

On a vu l’impact dans les nombreux dossiers qui n’ont pas joué en faveur du Québec durant le premier mandat libéral. Pensez à Bombardier, qui a dû attendre une éternité avant d’obtenir une aide financière. Pensez à l’obstination du gouvernement pour l’instauration d’une commission nationale des valeurs mobilières. Pensez à Aveos et à Davie, ou encore aux décisions imposées de manière unilatérale comme les transferts en santé.

Stephen Harper pouvait ainsi compter sur Michael Fortier. Trudeau père avait Marc Lalonde et Jean Marchand. Mulroney avait Marcel Masse, Benoît Bouchard et Lucien Bouchard. Autant d’hommes forts qui ont su « penser Québec » lorsque nécessaire.

Tant mieux, donc, si Justin Trudeau a accepté de céder cette responsabilité à Pablo Rodriguez, qui a le poids et l’expérience pour s’imposer. Enfin !

Parallèlement, félicitons aussi le premier ministre pour des nominations audacieuses, pour François-Philippe Champagne en particulier, mais aussi Mélanie Joly au Développement économique (et Langues officielles), Marc Miller aux Services aux autochtones, et Steven Guilbeault au Patrimoine, un poste qui nécessite une immense sensibilité pour le Québec.

Bien des écologistes sont déçus que ce dernier ne soit pas à la tête du ministère de l’Environnement, mais un militant fait rarement un bon ministre. Pensez à l’écologiste français Nicolas Hulot ou encore à l’environnementaliste québécois Daniel Breton, qui a été ministre de l’Environnement pendant moins de trois mois.

Steven Guilbeault aurait certes eu les compétences pour s’occuper de ce ministère, mais l’ancien militant aurait constamment été mis en contradiction avec ses positions passées. Il aurait eu de la difficulté à défendre l’expansion de Trans Mountain, un projet phare du gouvernement. Et il aurait été en position de décevoir constamment, en s’obligeant aux compromis que commande la politique. Peut-être qu’un jour il aura la chance de nous prouver le contraire, mais la prudence du premier ministre est justifiée dans les circonstances d’aliénation de l’Ouest qu’on connaît.

Justin Trudeau prend donc acte des résultats des dernières élections en dotant le Québec de deux postes supplémentaires au Cabinet, s’appuyant sur deux représentants forts pour l’Ouest (Chrystia Freeland, qui a grandi en Alberta) et pour le Québec (Champagne).

Il prend surtout acte du fait que son deuxième mandat ne pouvait être la poursuite du premier.

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