« Le message que les Canadiens ont envoyé m’a donné beaucoup de matière à réflexion, et je m’engage à réfléchir de façon attentive et de façon profonde en consultant beaucoup de gens sur la meilleure façon de procéder. » — Justin Trudeau, mercredi dernier

Les quatre premières années de Justin Trudeau au pouvoir se sont passées loin de la Chambre des communes, souvent en voyage, à la une des magazines internationaux et en parade sur les grandes scènes du monde.

Tout ça, c’est de l’histoire ancienne.

Ou du moins, tout ça doit devenir de l’histoire ancienne, car le mandat minoritaire qui s’amorce devra forcément être différent, pour ne pas dire l’exact opposé du précédent.

Pas sorcier : le deuxième mandat du gouvernement Trudeau sera national… ou ne sera pas.

Fini, le dilettante qui préfère serrer des mains plutôt que de passer son temps en réunion à Ottawa. Fini, le désir permanent de la mise en scène, des chaussettes colorées et des déguisements. Fini, cette façon de confondre son rôle avec celui du gouverneur général.

Car c’est justement ce qu’a fait Trudeau lors de ses premières années au pouvoir… de son propre aveu !

PHOTO PATRICK DOYLE, REUTERS

Justin Trudeau a rencontré la presse, mercredi à Ottawa, au surlendemain de sa victoire électorale.

Rappelez-vous quand il avait été interrogé par le bureau du commissaire à l’éthique après son voyage chez l’Aga Khan. On lui avait demandé comment il qualifiait sa fonction : il avait répondu qu’elle était « de nature cérémoniale »…

Il se voyait comme une sorte de représentant de la Couronne qui a peu de prise sur les décisions courantes, qu’il laisse à d’autres. Quand il participe à des réunions, avouait-il, « les détails sont réglés avant ou après ».

D’où ce premier mandat où il semblait flotter au-dessus des besognes politiques dont s’occupaient ses conseillers et ses ministres.

Or, s’il y a une chose que le nouveau statut minoritaire de son gouvernement lui apprendra rapidement, c’est qu’il n’est pas le chef de l’État dans notre système parlementaire, mais bien le chef du gouvernement. Avec ce que cela implique de présence, de travail et de leadership.

En sera-t-il capable ?

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Dans son autobiographie, Terrain d’entente, Justin Trudeau précise que tout ce qu’il propose de faire durant sa carrière politique se résume en deux mots : « écouter et unir ».

Voilà un bel objectif qu’il aura intérêt à méditer encore et encore, car on ne saurait mieux traduire le défi d’un chef de gouvernement minoritaire.

M. Trudeau devra d’abord écouter. Et pour ce faire, il devra commencer par faire le ménage autour de lui afin de s’entourer de personnes plus à même de refléter le pays et ses sensibilités régionales.

En un mot, le premier ministre aurait intérêt à « détorontoïser » son entourage politique, majoritairement originaire de la capitale ontarienne. Un chef de cabinet venant du Québec et un autre de l’Alberta, peut-être ? Deux régions dont Trudeau s’est déconnecté, contrairement à l’Ontario, justement.

Et tant qu’à y être, la nomination d’un lieutenant québécois devra aussi faire partie de ses résolutions de nouveau mandat. De la chanson de campagne en français à la mollesse de la réponse aux géants du web en passant par l’aide aux médias, l’équipe Trudeau a prouvé une certaine insouciance par rapport à la différence québécoise.

Justin Trudeau devra ensuite unir. Unir des provinces que le nationalisme éloigne. Unir les villes, les banlieues et les régions, plus opposées que jamais. Unir des générations qui ont des attentes fort différentes. Et unir des partis politiques, ne serait-ce que ponctuellement, autour de mesures et de politiques fortes.

Pour ce faire, il n’y a qu’une voie : l’implication personnelle. Car, oui, son père a prouvé l’importance de s’adjoindre une personne forte pour travailler dans les coulisses, à l’époque son secrétaire principal Jim Coutts. Mais Pierre Elliott Trudeau a aussi démontré, en 1972, quand il s’est retrouvé dans une situation similaire à celle de son fils, que les grandes décisions lui revenaient.

Le chef libéral devra donc se présenter davantage en Chambre. Il devra négocier personnellement avec les autres chefs. Il devra davantage échanger avec les premiers ministres des provinces. Il devra calmer son caucus lorsqu’il fera des compromis.

Bref, il devra avoir les deux mains sur le volant. Cette fois.

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Disons-le, la conférence de presse que le premier ministre réélu a tenue mercredi dernier est de bon augure.

Justin Trudeau a fait preuve d’humilité, reconnaissant son ton clivant, parfois hargneux pendant les élections. Il a admis sa responsabilité dans la personnalisation de la campagne, qui a peu porté sur les enjeux. Et il a tendu la main à ceux avec qui il devra travailler au cours des prochains mois, voire des prochaines années s’il agit avec autant de tact que l’a fait son père il y a près de 50 ans.

Le premier mandat Trudeau s’est amorcé sous le signe des « voies ensoleillées », un emprunt à Wilfrid Laurier. Le deuxième mandat devra être davantage axé sur le « terrain d’entente », pour citer à nouveau Laurier.

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