Il faut donner ça à François Legault : il ne lâche pas le morceau. Un an après son élection, le premier ministre est toujours aussi déterminé à récupérer une partie de l’argent accordé aux médecins spécialistes. La négociation s’annonce épineuse et l’efficacité d’une loi spéciale est loin d’être assurée, mais on ne lui reprochera certainement pas d’essayer.

L’indignation était grande, la tentation d’en tirer profit l’était tout autant. En campagne électorale l’an dernier, les trois partis de l’opposition ont tous promis d’aller chercher des millions dans les poches de sarraus des spécialistes. C’est la CAQ qui s’est retrouvée avec le pouvoir et avec cette peau d’ours à livrer.

François Legault, qui avait parlé d’un milliard versé en trop aux spécialistes, a eu la sagesse de ne pas inscrire cette somme dans son cadre financier et de mettre le chiffre en veilleuse. Il aurait pu en faire autant avec la promesse de récupération elle-même en s’abritant derrière la fameuse étude commandée à l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), qui annonce des discussions pour le moins touffues.

Ç’aurait été d’autant plus compréhensible que les perspectives de réussite sont pour le moins incertaines. L’entente conclue l’an dernier entre Québec et le syndicat des médecins spécialistes prévoit en effet que l’étude commandée à l’ICIS peut uniquement servir à corriger un écart à la hausse. Ce contrat boulonné jusqu’en 2023 ne prête flanc à aucune baisse.

Le plus facile aurait donc été de se défiler. Au lieu de cela, le premier ministre est revenu à la charge mardi, évoquant une entente négociée avant la fin de l’année et, au besoin, une loi spéciale.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre François Legault

Rappelons que le dernier gouvernement qui a tenté de faire fi d’un accord de rattrapage salarial conclu par la précédente administration est celui de Jean Charest, qui ne se considérait pas lié par la lettre d’entente signée en 2003 par l’ex-ministre de la Santé… François Legault. Pourtant, même déterminés et armés d’une loi spéciale, les libéraux ont fini par céder devant la résistance des spécialistes, alors présidés par Gaétan Barrette.

« Ils ont moins l’appui de la population », a fait valoir François Legault en entrevue avec notre collègue Tommy Chouinard.

Ajoutons que la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a brûlé de précieuses cartouches dans le passé.

En 2006, le Conseil des services essentiels lui a fait savoir qu’elle ne pouvait pas mettre en péril la diplomation des étudiants de troisième et quatrième années de médecine. Et que les obstétriciens-gynécologues (alors présidés par Diane Francoeur) ne pouvaient pas refuser de faire leurs gardes, accouchements et césariennes de façon concertée.

Huit ans plus tard, la Cour d’appel a condamné la FMSQ à dédommager plus de 3300 patients qui ont vu leur opération reportée ou annulée à cause des « journées d’étude » de ses membres.

Dans les deux cas, le message était le même : non, tous les moyens de pression ne sont pas acceptables et il y a des limites à prendre les patients en otage.

Cela dit, même si le gouvernement Legault adopte une loi spéciale, il n’en aura pas fini pour autant.

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« L’efficacité d’une loi spéciale est loin d’être assurée », souligne Ariane Krol.

La FMSQ ira devant les tribunaux, qui pourraient fort bien reconnaître la validité de son entente. Sans oublier cette récente décision de la Cour supérieure, qui a invalidé la loi spéciale imposée aux juristes de l’État. Les médecins spécialistes ne sont pas des employés de l’État, mais n’empêche, ce jugement établissant qu’une loi spéciale a porté atteinte à la liberté d’association protégée par les chartes fait désormais partie du paysage.

Rien ne dit qu’on ira jusque là. Le premier ministre a souligné sa préférence pour une solution négociée. Mais les patients continueront-ils à le soutenir s’ils subissent les contrecoups d’une négociation difficile ?

Si jamais il y a des reproches à faire, c’est aux libéraux qu’il faudra les adresser, car ce sont eux qui ont signé cette entente bétonnée afin de pouvoir déclencher des élections en paix. C’est avec ça que le gouvernement Legault doit se débattre aujourd’hui. On ne pourra pas le blâmer d’avoir essayé.

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